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vivelalecture

billets d'humeur, notes de lecture, réactions de spectatrice...

BOULE DE SUIF (MAUPASSANT) : un personnage honni

Maïssa Touquet (2nde 5) imagine la lettre que Mme Carré-Lamadon aurait pu écrire à une amie...

 

A Londres, le 4 janvier 1870

 

Ma chère amie,

     Vous ne devinerez jamais la folle aventure qui m’est arrivée en fuyant la Normandie ! J’avais pensé à prendre de nombreuses fourrures, mais malgré cela, je frissonnais en attendant la voiture en compagnie de mon époux. Lorsqu’elle arriva enfin, j’y entrai en grimaçant en voyant comme elle était modeste. Je m’y installai, n’ayant d’autre choix. Je me retrouvais à côté de Monsieur et Madame Loiseau, qui avaient bien évidemment les meilleures places. Je connaissais Monsieur Loiseau de nom, sa réputation le précédant. La voiture démarra. Je me penchais légèrement pour observer les autres passagers de la voiture : en plus des Loiseau, il y avait là, le comte et la comtesse De Bréville, deux religieuses et Cornudet. Cornudet le révolutionnaire ! Y croyez-vous ? Et assise à côté de lui, il y avait une femme… Elle me rappelait quelqu’un avec ses yeux magnifiques (bien moins que les miens néanmoins !), et sa gorge énorme… Mais qui était-elle ?... Je mis quelques minutes avant de retrouver son nom : Boule de Suif. C’était Boule de Suif ! La catin ! Je ne pus me retenir et soufflais le mot « prostituée ». Elle nous regarda alors avec son regard hardi et provocant. Hardi ? Provocant ! Vous vous imaginez ! Je me rapprochais de mes voisines et, d’un commun accord, nous l’ignorâmes.

    La voiture avançait lentement et la faim se faisait sentir. Je me pris même à bâiller. Oui, bâiller ! Vers deux heures, Boule de Suif, cette catin, sortit de sous ses jupes un panier que je devinai rempli de bonnes choses. Mon mépris pour elle se changea en une haine farouche et je m’imaginais même la jeter, elle et son ignoble repas, hors de la voiture ! Quand je sortis de ma rêverie, je m’aperçus qu’elle avait partagé son repas avec les autres. Je commençai par refuser mais comme j’étais tombée en pâmoison, mon mari accepta pour moi quelques victuailles. Il devait s’inquiéter pour ma santé, le pauvre ! S’il savait que je ne l’ai jamais aimé et le nombre de mes aventures !... Mais à ce moment-là, je lui étais reconnaissante : il m’avait permis de manger sans que je ne dusse rien à cette fille de petite vertu.

    A notre arrivée à Tôtes, nous fûmes arrêtés par un officier prussien, du reste fort séduisant. De taille haute, arborant de belles moustaches, mais surtout, sanglé dans un bel uniforme. Vous connaissez ma faiblesse pour les uniformes, je crois, ma chère… On s’attabla à l’hôtel, mais nous fûmes arrêtés par l’aubergiste, un certain monsieur Follenvie. Il appelait Elisabeth Rousset et ce ne fut que lorsque Boule de Suif se retourna que je compris que c’était elle. Elle devait rendre visite à cet officier et j’en vins à regretter que ce ne soit pas moi. Peu importe ! Elle redescendit l’air chamboulé et je compris de quoi il s’agissait. Brave Prussien, il avait reconnu une fille dénuée de morale, contrairement à nous, les braves épouses ! J’avoue pourtant que cela ne m’aurait point dérangé d’être à sa place. Le repas fut succulent, bien que légèrement entaché par l’épouse de l’aubergiste, qui s’échinait à critiquer l’occupant... Pauvre cruche ! Elle aurait mieux fait d’écouter son mari… Nous partîmes nous coucher et je tentais à nouveau d’échapper aux bras de mon mari, sa présence même me répugnait, mais j’échouais encore.

     Le lendemain, je me réveillai avec un mauvais pressentiment. Celui-ci se confirma lorsqu’on nous empêcha de quitter Tôtes. Je savais que cela avait un rapport avec Boule de Suif mais je semblais être la seule à le comprendre. La journée se déroula, morose. Et au moment du dîner, l’aubergiste demanda à Boule de Suif si elle avait changé d’avis, elle lui répondit que non et nous avoua que le Prussien voulait « coucher » avec elle (selon ses termes). J’avais donc raison !  Je fis semblant de m’indigner avec les autres mais, après tout, c’était son métier je ne voyais pas pourquoi tout le monde semblait si indigné ni pourquoi il ne m’avait pas choisi moi ! Le lendemain, ce fut Loiseau qui annonça, ce que tout le monde pensait, me semble-t-il,  c’est-à-dire la nécessité de la faire changer d’avis. Cela ne fut pas trop compliqué : il nous suffit de faire parler les Religieuses qui dirent qu’une action blâmable ne l’était pas si c’était pour la bonne cause. Je n’y croyais pas vraiment mais après tout on n’allait pas rester éternellement à Tôtes. Elle y alla donc pendant que nous faisions une sorte de fête durant laquelle Loiseau nous conta ce qu’il avait surpris à savoir que Boule de Suif avait refusé les avances de Cornudet sous prétexte qu’il y avait le Prussien à côté. Je n’y croyais pas une seconde, je pensais plutôt qu’elle ne voulait pas de lui et que pour qu’il ne calomnie pas ses performances, elle lui avait dit cela sachant quel patriote il était.

    Ce fut enfin le jour du départ et nous nous installâmes à nouveau dans la voiture aux mêmes places qu’à l'aller et, bien sûr, je ne souhaitais pas me retrouver à ses côtés. Dès qu’elle arriva avec son air de timidité feinte, je me détournai d’elle. Dieu que je la méprisais ! Vers midi nous déballâmes nos provisions. J’avais remarqué que Boule de Suif n’avait rien et j’avais entendu la remarque de Madame Loiseau : « elle pleure sa honte !» Mais je décidai de les ignorer. Après tout, elle s’était laissé influencer et comme vous le savez bien, je hais les esprits faibles ! De plus, elle n’avait qu’à abréger sa nuit avec le Prussien, cela n’avait pas l’air de l’avoir traumatisée plus que cela ! Je me demandais comment il était cet officier... Puis Cornudet se mit à chanter La Marseillaise, sûrement pour l’énerver car elle était bonapartiste.

        L’officier de cette nuit na va pas tarder à arriver… Avant de te quitter, n’oublie pas de me dire comment vont les enfants. Rose et Albert ont dû grandir !  

            Au plaisir de vous revoir.

                                                                                                         

Madame Carré-Lamadon 

 

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