21 Mai 2019
OBJET D’ETUDE : LE THEATRE, TEXTE ET REPRESENTATION
ECRITURE D’INVENTION : MONOLOGUE DE LEPIDUS
(suite du texte de Camus, Caligula, II, 5)
SUJET : Lepidus, maintenant seul, réagit à chaud à tout ce qu’il vient d’entendre et de vivre. Il exprime alors le fond de sa pensée et de ses sentiments, tout en s’interrogeant sur la conduite à tenir. Vous rédigerez un monologue théâtral. Minimum 40 à 50 lignes.
Copie de Mariem :
LEPIDUS (seul dans la salle de repas)
Oh seigneur ! Quel horrible repas auquel je viens d’assister ! Ce Caligula, quel horrible personnage ! Je force mon être à se taire pour préserver la vie de mon second fils. Si cela ne tenait qu’à ma personne, ma langue aurait déjà été bien pendue ! Depuis la mort de sa sœur, Caligula ou plutôt, toute son AME devint noire. Un noir impossible à éclairer. Un noir plus sombre que les ténèbres ! Alors qu’à un moment je ressentais de la peine pour lui, le jour où il a ôté la vie à mon premier fils, celui pour qui j’aurais sacrifié ma vie et Dieu seul sait à quel point je tenais à lui, cette peine s’est transformée en une rage et en une haine impossible à contrôler.
Pourquoi s’en prend-il à nous, son peuple ? QU’avons-nous fait ? La réponse est : Rien !
Depuis son changement, je ne peux pas me permettre un pas de travers suite à son chantage fait précédemment.
Mais je me vengerai, mon fils ! De là-haut, je sais que tu m’entends et sache, mon fils, que je te vengerai un jour ou l’autre ! Je te le promets ! QU’il fasse jour ou nuit. Grêle ou neige. Soleil ou pluie. Je me vengerai et Dieu en est témoin ! Oui, je sais que cette idée est suicidaire. Oui, je sais que cela se retournera contre moi. Mais je ne peux pas rester les bras croisés pendant que ce monstrueux se permet de faire souffrir d’autres personnes. Je me vengerai aussi pour vous, mes frères de ce repas qui ont eux aussi dû subir comme moi les rires incessants que Caligula faisait éclater avec irrespect.
(Il se lève et se dirige vers la sortie.)
Il nous considère comme des moins que rien. Comme des individus inférieurs à sa personne. Il pense peut-être que sa place d’empereur lui donne le rôle d’un Dieu ? qu’il peut se permettre tout ? Je n’en suis pas si sûr.
(En hurlant).
Et je le jure sur mon seul fils qu’il me reste qu’il va le payer et va pourrir en enfer avec tous ses péchés accumulés par milliers ! Tant que je serai de ce monde, ma haine et ma soif de vengeance contre lui continueront de brûler. Mais pour l’instant, Lepidus, il faut que tu restes malin et que tu continues de rentrer dans son jeu pour que cet être sans cœur ne se doute de rien. Cependant, dois-je foncer aveuglément et l’attaquer directement en laissant ma haine accumulée sortir ? Ou dois-je plutôt réfléchir à une stratégie pour pouvoir mieux l’attaquer ? Seul le temps me le dira en fonction de la patience que j’aurai. Ce qui est sûr dans mon esprit est que ce diable incarné souffre pour tout le mal qu’il a causé sur son passage.
Copie de Soukaina J :
Isolé de tous dans la salle à manger que viennent de quitter les autres convives et Caligula, Lepidus tourne en rond, pris de fureur.
LEPIDUS
Rions ! Remplissons-nous la panse et rions à gorge déployée, rions jusqu’à ce que nos mâchoires se décrochent et que nos yeux sortent de leurs orbites. Pauvre de nous… Nous devrions plutôt pleurer ! pleurer pour Rome, pleurer pour nos familles, et surtout ne pas oublier de pleurer pour nous-mêmes. Car jamais le ciel n’a été aussi sombre et l’avenir aussi vide que lorsque Caligula est devenu empereur et détenteur de tous pouvoirs. Il fut une époque où il sut berner le monde, où il sut me berner moi. Une époque désormais lointaine où Caligula apaisait les cœurs et savait être bon. C’est durant cette période que je me suis mis à son service, que je lui ai présenté mes fils et ma femme. Mais depuis la mort de sa sœur… Il souffre ? Il est en deuil ? Soit ! Qu’il fasse donc comme nous, qu’il souffre en silence plutôt que d’arracher la vie à de pauvres innocents. Oh ! Mon pauvre fils ! Pardonne-moi, je t’en prie ! Si seulement… Si seulement je pouvais saisir mon épée et te venger, mais comprends-moi, si je m’y risquais, ton frère subirait le même sort que le tien. Il serait plus sage d’attendre le moment opportun pour agir et venger ma chair mais surtout pour récupérer mon honneur. Car même ça, il a refusé de me le laisser, me riant au nez impunément et m’obligeant à faire toutes sortes de frasques. Rire quand il l’ordonne, compter, pleurer, tuer. Suis-je devenu une marionnette ? Ou pire, un de ces hommes ayant pour seul but d’amuser la cour ? Que les dieux entendent mon appel ! Que les furies se réveillent et abattent sur l’impuni un courroux vengeur, que de tous les mots il souffre et qu’il ne bénéficie d’aucun remède ! Que la mort ne lui soit accordée que si elle est portée par ma main. Une vie pour une autre et ces douleurs pour étancher ma soif de vengeance. Sans cela, je devrais patienter dans l’ombre à l’affût du jour où sa tête tombera et où mon épée transpercera son cœur. Et pour cela je suis prêt à rire jusqu’à ce que ma mâchoire se décroche et que mes yeux sortent de leurs orbites. Rire en attendant la mort.
Copie de Lina
LEPIDUS, seul dans un coin.
Cet homme ou plutôt ce monstre riant du malheur d’autrui… N’est-ce pas injuste ? Mon fils est mort. (D’une voix tremblante.) Pourquoi ? Par sa faute. Il a envoyé ses hommes pour le faire tuer car rien n’est fait par lui, il en est incapable. La raison de la mort de mon enfant ? Il n’y en a pas. (Les larmes aux yeux.) Seulement la rage d’un homme, d’un roi qu’il conserve depuis plusieurs années. Un roi abusant de son pouvoir et de son autorité, c’est bien connu. (D’un ton ironique) Mon fils n’est pas le premier et ne sera pas le dernier. Je dois boire ses paroles comme il boit de l’alcool, sinon ce sera mon tour. L’amour ! Il ne connait plus ce sentiment, donc il retire à tous la possibilité d’aimer. Il a perdu sa sœur, il veut que je perde l’envie de vivre. Il boit pour oublier mais il devrait payer pour ce qu’il a fait. Ai-je oublié qu’un roi est remercié pour tous ses actes ? Dois-je accepter ? Ou moi-même oublier ? (D’un air agacé, le visage rouge.) C’est impossible, il aime faire resurgir le passé, tout ça en se moquant évidemment. Son rire est imprimé dans mon esprit, il me hante chaque jour, chaque nuit, tout le temps. Nous sommes tous des billes à ses yeux, un jeu dans « l’absurdité de ce monde » comme il dirait. (Se moquant de ses paroles.) Rien ni personne ne peut le faire changer. Ma tristesse ainsi que celle des autres ne l’atteint pas car la joie, il ne la supporte pas. Vous savez, ce sentiment que tout homme aime ressentir, eh bien lui le refuse ! Réfuter ce que l’on ne peut pas négliger pour être heureux, c’est ce qu’il sait faire le mieux. (D’une voix désespérée.) J’essaie de comprendre, de me mettre à sa place, seulement toute la rage qu’il ressent est maintenant présente dans mon cœur et dans ma tête et s’est transformé en dégoût pour lui. Je dois faire mine d’accepter pour, à mon tour, le rabaisser. J’attends l’heure de ma vengeance pour mon fils et tous les autres qui ont subi ce calvaire. Ce n’est plus qu’une question de temps. (Le regard fixe et déterminé.)
https://www.youtube.com/watch?v=9BNkBp--BOI
CAMUS parle de sa pièce et de son personnage.
Le 1er janvier 1958, pour l’émission “Plein feux sur les spectacles du monde”, Albert Camus répond aux questions de Jacques Marcerou sur Caligula.