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billets d'humeur, notes de lecture, réactions de spectatrice...

LA PLUIE EN POESIE

LA PLUIE EN POESIE
LA PLUIE EN POESIE
LA PLUIE EN POESIE
UNE PLUIE REVIGORANTE CHANTEE PAR UN POETE DU 17ème SIECLE, EMBLEMATIQUE DU COURANT BAROQUE

 

(1594-1661)


Au cours de ces strophes, le poète se plaît à nous composer un tableau où l’arrivée brusque de la pluie dans un climat torride crée un sentiment de joie chez tous les acteurs de cette scène.

 

La pluie

 

Enfin la haute Providence
Qui gouverne à son gré le temps,
Travaillant à notre abondance
Rendra les laboureurs contents : 
Sus ! que tout le monde s'enfuie, 
Je vois de loin venir la pluie, 
Le ciel est noir de bout en bout 
Et ses influences bénignes 
Vont tant verser d'eau sur les vignes 
Que nous n'en boirons point du tout.

L'ardeur grillait toutes les herbes, 
Et tel les voyait consumer 
Qui n'eût pas cru tirer des gerbes 
Assez de grain pour en semer. 
Bref, la terre, en cette contrée, 
D'une béante soif outrée, 
N'avait souffert rien de pareil 
Depuis qu'une audace trop vaine 
Porta le beau fils de Climène 
Sur le brillant char du soleil.

Mais les dieux mettant bas les armes 
Que leur font prendre nos péchés, 
Veulent témoigner par des larmes 
Que les nôtres les ont touchés :
Déjà, l'humide Iris étale 
Son beau demi-cercle d'opale 
Dedans le vague champ de l'air 
Et, pressant mainte épaisse nue, 
Fait obscurcir à sa venue 
Le temps qui se montrait si clair.

Ces pauvres sources épuisées 
Qui ne coulaient plus qu'en langueur, 
En tressaillent comme fusées 
D'une incomparable vigueur ; 
je pense, à les voir si hautaines, 
Que les eaux de mille fontaines 
Ont ramassé dedans ces lieux 
Ce qui leur restait de puissance 
Pour aller par reconnaissance 
Au devant de celles des cieux.

Payen, sauvons-nous dans ta salle
Voilà le nuage crevé ;
O, comme à grands flots il dévale !
Déjà, tout en est abreuvé.
Mon Dieu ! Quel plaisir incroyable !
Que l'eau fait un bruit agréable
Tombant sur ces feuillages verts !
Et que je charmerais l'oreille
Si cette douceur non pareille
Se pouvait trouver en mes vers !

Çà, que l'on m'apporte une coupe :
Du vin frais, il en est saison ; 
Puisque Cérès boit à la troupe, 
Il faut bien lui faire raison ! 
Mais non pas avec ce breuvage 
De qui le goût fade et sauvage 
Ne saurait plaire qu'aux sablons 
Ou à quelque jeune pucelle 
Qui ne but que de l'eau comme elle 
Afin d'avoir les cheveux blonds.

Regarde à l'abri de ces saules 
Un pèlerin qui se tapit : 
Le dégoût perce ses épaules 
Mais il n'en a point de dépit. 
Contemple un peu dans cette allée 
Thibaut à la mine hâlée
Marcher froidement par compas ;
Le bonhomme sent telle joie 
Qu'encore que cette eau le noie, 
Si ne s'en ôtera-t-il pas.

Vois déjà dans cette campagne
Ces vignerons tout transportés
Sauter comme genets d'Espagne
Se démenant de tous côtés ; 
Entends d'ici tes domestiques 
Entrecouper leurs chants rustiques 
D'un fréquent battement de mains ;
Tous les cœurs s'en épanouissent 
Et les bêtes s'en réjouissent 
Aussi bien comme les humains.

 

BIOGRAPHIE DE SAINT-AMANT

(1594-1661)

 

Poète français (Quevilly, près de Rouen, 1594-Paris 1661). Fils d'un marin rouennais, il s'embarque pour des voyages qui le mèneront sur plusieurs continents. Libertin au service du duc de Berry, ami de Théophile de VIAU, il mène une vie dissipée lorsqu'il séjourne à Paris. Protestant converti au catholicisme, il fréquente le salon de Mme de Rambouillet et voyage en Europe.

Passant de poèmes bachiques (les Goinfres) à des poèmes d'inspiration mariniste (la Pluie ou Solitude, 1618), fantastique (les Visions) ou encore satirique (la Rome ridicule, 1643), il inventa le vocabulaire poétique burlesque. On lui doit aussi une idylle héroïque : Moïse sauvé (1653). [Carrière littéraire lui valant l'élection à l'Académie française, 1634].

Poète des sens : réputé épicurien, bon vivant, porté sur la sensualité... Il évoque la vie de bohème, les débauches, les buveurs et les goinfres... Il célèbre la bonne chère avec un réalisme savoureux. Il fait l'éloge de la paresse voluptueuse, chante les beautés du corps féminin.

Sa sensibilité à la nature l'amène à développer les thèmes de l'eau (mer, torrent, pluie), du mouvement du jour (soleil levant), des saisons. On note le caractère baroque de l'oeuvre : goût pour l'imaginaire, le fantastique, les hallucinations. Saint-Amant privilégie la vision : il livre des scènes de cabaret ou esquisse des tableaux religieux (Moïse sauvé). Il montre le souci du détail et de la musicalité sans négliger les effets de surprise.

LA PLUIE EN POESIE

 

Quelques auteurs des 19ème et 20ème siècles font de la pluie un motif récurrent de leur oeuvre et riche sur le plan symbolique. Les poètes que l'on a coutume de relier au mouvement symboliste précisément (Baudelaire, Verlaine, Laforgue notamment) suggèrent l'enfermement, la tristesse qui accable le sujet mélancolique, l'espèce de marasme qui met en parallèle le monde extérieur et l'état d'esprit de l'être qui contemple la pluie. Le fameux "spleen" baudelairien se nourrit de grisaille et de pluie, d'atmosphère brumeuse et d'une humidité qui transperce le promeneur. Comme l'exprime simplement Verlaine, "Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville..." Pourtant, le "doux bruit de la pluie" marque aussi le renouveau de la nature, sa régénérescence, sa fraîcheur bienfaisante, les poètes romantiques célèbrent à travers la pluie la beauté de la nature que l'on perçoit d'une manière renouvelée. Une vision heureuse peut émaner de paysages rafraîchis par les averses ou les ondées.On retrouve au fond l'ambivalence de l'élément aquatique : eau lustrale, énergisante, ou eau mortifère, déprimante, à l'image des pleurs intarissables.

 

 

Jean RICHEPIN (1849-1926) :

Ce que dit la pluie

 

M'a dit la pluie : Écoute 
Ce que chante ma goutte, 
Ma goutte au chant perlé. 
Et la goutte qui chante 
M'a dit ce chant perlé :
Je ne suis pas méchante, 
Je fais mûrir le blé.

Ne sois pas triste mine 
J'en veux à la famine.
Si tu tiens à ta chair,
Bénis l'eau qui t'ennuie 
Et qui glace ta chair ; 
Car c'est grâce à la pluie 
Que le pain n'est pas cher.

Le ciel toujours superbe 
Serait la soif à l'herbe 
Et la mort aux épis.
Quand la moisson est rare 
Et le blé sans épis, 
La paysan avare 
Te dit : Crève, eh ! tant pis !

Mais quand avril se brouille, 
Que son ciel est de rouille, 
Et qu'il pleut comme il faut, 
Le paysan bonasse 
Dit à sa femme : il faut, 
Lui remplir sa besace, 
Lui remplir jusqu'en haut.

M'a dit la pluie : Écoute
Ce que chante ma goutte, 
Ma goutte au chant perlé. 
Et la goutte qui chante 
M'a dit ce chant perlé 
Je ne suis pas méchante, 
Je fais mûrir le blé.

 

 

 

Biographie de Jean RICHEPIN (1849-1926)

Jean Richepin

(cf. académie française http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-richepin)

Né à Médéah (Algérie), le 4 février 1849.

  Ce petit-fils de paysans dont le père était médecin militaire eut très tôt la vocation de la littérature. Entré à l’École normale supérieure en 1868, il obtint sa licence de lettres en 1870 et servit pendant la guerre dans un corps de francs-tireurs.

   Dans les années qui suivirent, il collabora à plusieurs journaux et exerça plusieurs métiers des plus divers, professeur , matelot ou portefaix. Fréquentant le Quartier Latin, il se lia avec Jules Vallès. Sa vie marginale lui inspira son premier recueil de poésie, un ouvrage provocateur, La Chanson des gueux, publié en 1876. Il fit scandale à sa sortie car Jean Richepin, tel un Villon moderne, y dépeignait un peuple semblant tout droit sorti de la Cour des Miracles. La Chanson des gueux coûta à Richepin 500 francs d’amende et un mois de prison.

    Écrivain prolifique, Jean Richepin produisit maints autres recueils de poèmes : Les Caresses, Les Blasphèmes, La Mer, Mes Paradis, Les Glas, des romans dans la veine populiste : Les Étapes d’un réfractaire, La Glu, Miarka, la fille à l’ours, Les Braves gens, Césarine, Les Grandes amoureuses et des pièces de théâtre dont les plus célèbres furent Nana Sahib et Le Chemineau.

  Jean Richepin fut élu à l’Académie française en remplacement d’André Theuriet, le 5 mars 1908. Se présentaient contre lui Edmond Haraucourt et Henri de Régnier. Il obtint au quatrième tour 18 voix sur 32 votants et fut reçu le 18 février 1909 par Maurice Barrès. Il devait recevoir à son tour le maréchal Joffre en 1918, et Georges Lecomte en 1926.

Mort le 12 décembre 1926.

 

 

 

Pluie

Il pleut. J'entends le bruit égal des eaux ;
Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,
Se penche et brille en pleurant sous l'averse ;
Le deuil de l'air afflige les oiseaux.

La bourbe monte et trouble la fontaine, 
Et le sentier montre à nu ses cailloux. 
Le sable fume, embaume et devient roux ; 
L'onde à grands flots le sillonne et l'entraîne.

Tout l'horizon n'est qu'un blême rideau ; 
La vitre tinte et ruisselle de gouttes ; 
Sur le pavé sonore et bleu des routes 
Il saute et luit des étincelles d'eau.

Le long d'un mur, un chien morne à leur piste, 
Trottent, mouillés, de grands bœufs en retard ; 
La terre est boue et le ciel est brouillard ; 
L'homme s'ennuie : oh ! que la pluie est triste !

 

 

 

Biographie de René Armand François Sully Prudhomme

(1839-1907)

 

 

Né à Paris (France) le 16/03/1839 ; Mort à Châtenay-Malabry (France) le 06/09/1907
 

Après de brillantes études, René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme, travaille tout d'abord comme ingénieur, puis comme avocat avant de se consacrer à la poésie. Il publie son premier succès,Stances et Poèmes en 1865, suivi par Les Épreuves en 1866 et Les Solitudes en 1869, trois recueils de poésies sentimentales et mélancoliques. Par sa recherche de la perfection formelle, Sully Prudhomme se rapproche du mouvement parnassien, auquel il donne cependant des accents plus personnels. Il essaie également de mêler la poésie, la science et la philosophie, et publie une traduction du poème de Lucrèce De la nature des choses (De natura rerum) en 1869, suivie de compositions didactiques : La Justice en 1878 et Le Bonheur en 1888.

 

 

 

 

Pluie

Théophile Gautier

 

Ce nuage est bien noir : – sur le ciel il se roule,
Comme sur les galets de la côte une houle.
L’ouragan l’éperonne, il s’avance à grands pas.
– A le voir ainsi fait, on dirait, n’est-ce pas ?
Un beau cheval arabe, à la crinière brune,
Qui court et fait voler les sables de la dune.
Je crois qu’il va pleuvoir : – la bise ouvre ses flancs,
Et par la déchirure il sort des éclairs blancs.
Rentrons. – Au bord des toits la frêle girouette
D’une minute à l’autre en grinçant pirouette,
Le martinet, sentant l’orage, près du sol
Afin de l’éviter rabat son léger vol ;
– Des arbres du jardin les cimes tremblent toutes.
La pluie ! – Oh ! voyez donc comme les larges gouttes
Glissent de feuille en feuille et passent à travers
La tonnelle fleurie et les frais arceaux verts !
Des marches du perron en longues cascatelles,
Voyez comme l’eau tombe, et de blanches dentelles
Borde les frontons gris ! – Dans les chemins sablés,
Les ruisseaux en torrents subitement gonflés
Avec leurs flots boueux mêlés de coquillages
Entraînent sans pitié les fleurs et les feuillages ;
Tout est perdu : – Jasmins aux pétales nacrés,
Belles-de-nuit fuyant l’astre aux rayons dorés,
Volubilis chargés de cloches et de vrilles,
Roses de tous pays et de toutes famines,
Douces filles de Juin, frais et riant trésor !
La mouche que l’orage arrête en son essor,
Le faucheux aux longs pieds et la fourmi se noient
Dans cet autre océan dont les vagues tournoient.
– Que faire de soi-même et du temps, quand il pleut
Comme pour un nouveau déluge, et qu’on ne peut
Aller voir ses amis et qu’il faut qu’on demeure ?
Les uns prennent un livre en main afin que l’heure
Hâte son pas boiteux, et dans l’éternité
Plonge sans peser trop sur leur oisiveté ;
Les autres gravement font de la politique,
Sur l’ouvrage du jour exercent leur critique ;
Ceux-ci causent entre eux de chiens et de chevaux,
De femmes à la mode et d’opéras nouveaux ;
Ceux-là du coin de l’œil se mirent dans la glace,
Débitent des fadeurs, des bons mots à la glace,
Ou, du binocle armés, regardent un tableau.
– Moi, j’écoute le son de l’eau tombant dans l’eau.

Théophile Gautier, Premières poésies

 

Théophile Gautier  

(Tarbes, 1811 -Neuilly-sur-Seine, 1872)

Sa vie

Son oeuvre :

- Poésies (1830),
- Les Jeunes-France (1833)
- Mademoiselle de Maupin (1835-1836)
- La Comédie de la Mort (1838)
- Emaux et Camées(1852)
- Une nuit de Cléopâtre (1845)
- Le Roi Candaule(1847)
- Le Roman de la Momie (1858)
- Le Capitaine Fracasse (1863)

 

   

Poète, critique dramatique, narrateur français. Il fit ses études de peintre dans l'atelier de Rioult mais attiré par l'éclat de Victor Hugo et de la jeune poésie romantique, il abandonna la peinture pour une poésie haute en couleurs. Il fréquenta autour de 1830 les romantiques, artistes bohèmes, et se lia très jeune à Gérard de Nerval.

Dans son premier recueil il est encore timide et parfois gauche. En 1833, avec le bref poème Albertus et le recueil de contes ironiques Les Jeunes-France apparaît son indépendance vis-à-vis des romantiques et un dandysme sceptique. Mais pour vivre et faire vivre les siens, Théophile Gautier dut, dès 1836, se consacrer avec continuité au journalisme et publier d'innombrables feuilletons de critique dramatique. En 1835-1836 paraît le roman Mademoiselle de Maupin, défi à la morale bourgeoise, il y soutient dès la préface que l'Art et la Morale n'ont rien de commun.

Pour s'évader d'une réalité médiocre, il cherche le dépaysement dans l'espace, chroniques de ses voyages en Orient et en Espagne, et dans le temps avec des romans situés à travers l'Histoire. En 1852, paraît Emaux et Caméesson oeuvre la plus originale, celle où éclate le mieux sa maîtrise, celle qui aura l'influence la plus grande sur les jeunes poètes groupés plus tard sous le nom de Parnassiens. Dans un de ses poèmes, il proclame la valeur absolue du métier, la nécessité pour le poète d'accepter et même de susciter les difficultés techniques.

 

 

 

 

 

 

Pauvre oiseau que le ciel bénit !

Il écoute le vent bruire,

Chante, et voit des gouttes d’eau luire

Comme des perles dans son nid !

Victor Hugo

 

 

ALOYSIUS BERTRAND : poème en prose

LA PLUIE


  Et pendant que ruisselle la pluie, les petits charbonniers de la Forêt Noire entendent, de leur lit de fougère parfumée, hurler au dehors la bise comme un loup.
 Ils plaignent la biche fugitive que relancent les fanfares de l’orage, et l’écureuil tapi au creux d’un chêne, qui s’épouvante de l’éclair comme de la lampe du chasseur des mines.
 Ils plaignent la famille des oiseaux, la bergeronnette qui n’a que son aile pour abriter sa couvée, et le rouge-gorge dont la rose, ses amours, s’effeuille au vent. 

 Ils plaignent jusques au ver luisant qu’une goutte de pluie précipite dans des océans d’un rameau de mousse.

 Ils plaignent le pèlerin attardé qui rencontre le roi Pialus et la reine Wilberta, car c’est l’heure où le roi mène boire son palefroi de vapeurs au Rhin.

 Mais ils plaignent surtout les enfants fourvoyés qui se seraient engagés dans l’étroit sentier frayé par une troupe de voleurs, ou qui se dirigeraient vers la lumière lointaine de l’ogresse.

 Et le lendemain, au point du jour, les petits charbonniers trouvèrent leur cabane de ramée, d’où ils pipaient les grives, couchée sur le gazon et leurs gluaux noyés dans la fontaine.

 

 
Aloysius Bertrand (1807-1841)
       Poète romantique français, qui créa le genre du poème en prose avec Gaspard de la nuit.

Son oeuvre :

Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot (posth., 1842)

 

Né à Ceva, dans le Piémont, en Italie, Aloysius Bertrand, de son vrai nom Louis Bertrand, était le fils d'une Italienne et d'un officier napoléonien. Il vécut un temps entre Dijon et Paris, où il exerça les métiers de correcteur en imprimerie et de journaliste, soucieux de mettre sa plume au service de la révolution et de son idéal romantique. À Paris, il mena une vie de bohème, mais sa santé fragile lui imposa bientôt de fréquents séjours à hôpital. Il s'était auparavant fait apprécier du cénacle hugolien par la lecture qu'il y fit en 1828 de son poème l'Agonie et la Mort du sire de Maupin, mais il ne put faire jouer son drame Peter Waldech ou la Chute d'un homme (1833). L'ensemble de son œuvre ne fut édité, par un proche, qu'après sa mort.

Cet inventeur d'un «!nouveau genre en prose!» est surtout connu pour un poème en prose inachevé, Gaspard de la nuit, composé en 1835, qu'il qualifia lui-même de «!fantaisie à la manière de Rembrandt et de Callot!».Gaspard de la nuit est une évocation fantastique et onirique du Moyen Âge (revisité sans doute par Walter Scott)!; écrit dans une langue recherchée, riche d'images et de sonorités ensorcelantes, le poème peint des paysages et des sentiments d'un romantisme noir.

Autoportrait d'Aloysius Bertrand 
 

Malgré la liberté de structure et de rythme autorisée par la prose, cette poésie possède bien cette «forme condensée et précieuse» dont parlait Mallarmé.

Les poèmes en prose d'Aloysius Bertrand le rangent, au même titre que Nerval, du côté des poètes qui ont «!illuminé!» de leur lumière noire le romantisme français.Gaspard de la nuit fut le modèle avoué du Spleen de Paris, de Baudelaire, mais il inspira aussi Mallarmé et les poètes surréalistes, tout particulièrement André Breton, qui célébra en Aloysius Bertrand le poète en quête de merveilleux.

            

Rue de Paris, jour de pluie © Gustave Caillebotte

 

CHARLES BAUDELAIRE :

UN JOUR DE PLUIE

 

 Midi sonne, le jour est bien sombre aujourd'hui ;
À peine ce matin si le soleil a lui ;
Les nuages sont noirs, et le vent qui les berce
Les heurte, et de leur choc fait ruisseler l'averse ;
Leurs arceaux, se courbant sur les toits ardoisés,
Ressemblent aux piliers de draps noirs pavoisés,
Quand de la nef en deuil qui pleure et qui surplombe,
Le dôme s'arrondit comme une large tombe.
Le ruisseau, lit funèbre où s'en vont les dégoûts,
Charrie en bouillonnant les secrets des égouts,
Il bat chaque maison de son flot délétère,
Court, jaunit de limon la Seine qu'il altère,
Et présente sa vague aux genoux du passant.
Chacun, nous coudoyant sur le trottoir glissant,
Égoïste et brutal, passe et nous éclabousse,
Ou, pour courir plus vite, en s'éloignant nous pousse.
Partout fange, déluge, obscurité du ciel ;
Noir tableau qu'eût rêvé le noir Ezéchiel !
Hier pourtant le jour, dans sa profondeur vague,
Pur comme l'Océan où s'assoupit la vague,
Semblait jeter sur nous son regard triomphant ;
D'Apollon Délien l'attelage piaffant,
À peine s'entourait de cette écume blanche
Qui du flanc des coursiers sur le sable s'épanche ;
Hier tout souriait sur les toits, dans les airs ;
Les oiseaux dans leur vol sillonnaient des éclairs ;
Hier, tout s'agitait aux fenêtres ouvertes ;
Hier, se répandait sur nos places désertes
Tout un peuple a plaisir, au travail empressé.
Regardez aujourd'hui : la nuit seule a passé !
C'est la règle éternelle : aux voluptés d'une heure
Succèdent les longs soirs où l'innocence pleure ;
Aux rapides clartés qui brillent sur le front,
L'obscurité des nuits qu'un éclair interrompt ;
Au calme firmament, les chaos de nuages,
Dont l'accouplement noir enfante les orages.
Le monde où nous vivons, sous sa voûte d'airain,
Semble épaissir sur nous l’ombre d'un souterrain.
Dans un brouillard chargé d'exhalaisons subtiles,
Les hommes enfouis comme d'obscurs reptiles,
Orgueilleux de leur force en leur aveuglement,
Pas à pas sur le sol glissent péniblement.
Ils ont, creusant sans fin des mystères occultes,
Embrassé tour à tour et nié tous les cultes ;
Aux coins qu'à leur tanière assigna le hasard,
Ils meurent en rêvant des palais de lézard ;
Et lorsque sur la fange, à travers les ténèbres,
Tombe un peu de clarté des soupiraux funèbres,
En face du rayon qu'ils ont vu flamboyer,
Blasphémant le soleil, ils doutent du foyer.

CHARLES BAUDELAIRE

5 juillet 1841, Vers retrouvés

 

 

 

BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal

 

Spleen :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

 

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

Chronologie synthétique de la vie et l'œuvre de Charles Baudelaire (1821-1867)

 

Considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes français, Charles Baudelaire était quasi inconnu de ses contemporains, jusqu’au procès des Fleurs du Mal, son œuvre maîtresse longtemps censurée. "Le dernier des romantiques et le premier des modernes" échappe aux classifications : il relève à la fois du parnasse, du romantisme et du symbolisme. Fin critique, dandy usé par l’alcool, les excès et les problèmes d’argent, il disparaît prématurément à 46 ans.

 

 Un marginal

    Fils d’un homme des Lumières très tôt disparut (son père avait 62 ans à sa naissance), il vécut son enfance en plein romantisme. Il eut une enfance malheureuse, entre sa mère qu’il adorait mais à laquelle il ne pardonna pas son remariage, et son beau-père, qui ne comprenait pas grand chose à ce jeune dont il devait assurer l’éducation. Destiné à ‘faire son droit’, il choisit la bohème du Quartier Latin. A vingt ans, alors que ses relations familiales deviennent difficiles, il s’embarque pour l’Orient. Il s’arrête plusieurs semaines à l’île Maurice et à la Réunion où il se remplit les yeux d’images et de couleurs somptueuses et découvre les pouvoirs de la sensualité. Il rentre en France en février 1842, après dix mois d’absence. Il reçoit alors l’héritage de son père mais son beau-père lui impose un conseil de tutelle, qui le prive de la jouissance de ses biens. 


Une traversée de l’enfer

    Commence alors une existence difficile, marquée par un grand désespoir (tentative de suicide en 1845), de gêne matérielle – il devient critique d’art pour survivre -, de la maladie (la syphilis). Ces années 1845-1848 sont celles où il compose le plus grand nombre de pièces des Fleurs du Mal. C’est aussi à cette époque qu’il découvre Edgar Allan Poe, qu’il admire et qu’il traduira en partie. Il se lie avec Marie Daubrun et s’engage aux côtés des révolutionnaires de 1848. Mais les lendemains de la révolution l’écœurent, tout comme le révoltera le coup d’Etat du 2 décembre 1851. 

Le poète maudit

    Prodigieusement doué pour la souffrance et la solitude, il achève de se fragiliser en s’intéressant au vin et au haschich. Sa passion pour Jeanne continue bien que traversée d’autres amours. En 1857, il publie Les Fleurs du Mal, qui est aussitôt condamné pour ‘immoralité’ et voit son recueil amputé de poèmes jugés particulièrement scandaleux. En 1860, il publie Les Paradis Artificiels (célébration des drogues) et continue son œuvre de critique d’art lucide et hardi. Tandis qu’il travaille à une sorte d’autobiographie, Mon cœur mis à nu, et qu’il publie, en 1862, des poèmes en proses sous le titre du Spleen de Paris, il souffre de plus en plus de la syphilis. Après un séjour de deux ans en Belgique, il est frappé d’hémiplégie et meurt à Paris le 31 août 1867, à 46 ans.

 

 

 

PAUL VERLAINE : Il pleure dans mon cœur

 

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !

 

 

BIOGRAPHIE DE PAUL VERLAINE (1844-1896)

Paul Verlaine naît à Metz le 30 mars 1844. On raconte que sa mère avait conservé dans des bocaux les fœtus de ses fausses-couches, placés sur la cheminée ! C’est donc un enfant très attendu par ses parents. Mme Verlaine, malgré la violence de son fils à son égard, lui sera dévouée toute sa vie.

En classe, Verlaine est un élève intelligent, doué pour le dessin et la caricature. Mais dès l'entrée en Seconde, il délaisse ses devoirs et passe son temps à lire ses auteurs favoris. En 1862, il réussit son baccalauréat et devient employé de bureau à l'Hôtel de Ville de Paris.

Ce travail lui laisse en fait tout loisir de fréquenter les milieux littéraires et les cafés. Dès 1865, âgé de vingt et un ans, Verlaine devient critique littéraire dans L'Art où il écrit un important article sur Baudelaire. L'année suivante, en 1866, il publie son premier recueil : Poèmes saturniens.

En 1867, Verlaine connaît une première grande souffrance : sa cousine Elisa, dont il était tombé vainement amoureux, meurt. Il s'enivre pour oublier, comme il le fera d'ailleurs presque toute sa vie. Deux ans plus tard, en 1869, il publie le recueil des Fêtes galantes. C'est cette même année qu'il s'éprend de Mathilde Mauté, une jeune fille de seize ans. La période de fiançailles met momentanément un terme à ses crises d'alcoolisme et de violence. Espérant en ce bonheur nouveau, il se marie en 1870. Mais il s'est remis à boire et il perd son emploi. Dans des accès de violence il frappe sa femme, sa mère, mais aussi son fils, né en 1871. C'est cette même année qu'il accueille Arthur Rimbaud. Le génie de ce dernier subjugue Verlaine. En 1872, il quitte Mathilde et part pour la Belgique avec Rimbaud. Leur difficile vie commune, d'abord en Belgique, puis à Londres, s'achève à Bruxelles en 1873 lorsque Verlaine tire deux coups de révolver sur Rimbaud. Il sera incarcéré pendant deux ans. En prison, où il éprouve des remords sincères, Verlaine cherche désormais son salut en Dieu.

Libéré en 1875, il mène une vie exemplaire. Professeur à Rethel, dans les Ardennes, depuis 1876, il y rencontre en 1878 Lucien Létinois, l'un de ses élèves. Ils vivent ensemble dans un petit village où Verlaine a acheté une ferme grâce à l'argent donné par sa mère. Mais Lucien meurt en 1883 et Verlaine sombre à nouveau dans l'alcoolisme. De retour à Paris, il vit dans un taudis et la mort de sa mère le laisse sans ressource.

Paradoxalement, c'est au moment de sa déchéance qu'il connaît la célébrité, alors que le génie créateur s'est tari et que sa production s'est dégradée. Les jeunes générations de Symbolistes et de Décadents le prennent pourtant pour maître et Verlaine reçoit dans sa mansarde misérable de nombreux écrivains. Ceux-ci se cotiseront pour lui assurer une rente mensuelle.

En 1896 Verlaine meurt d'une congestion pulmonaire. Au cimetière des Batignolles où il est enterré, une foule d'écrivains et d'admirateurs est venue lui rendre un dernier hommage.

 

 

Jules LAFORGUE : Les amoureux

 

Seuls dans leur nid, palais délicat des bambous, 
Loin des plages, du spleen, du tapage des gares 
Et des clubs d'électeurs aux stupides bagarres, 
Ils s'adorent, depuis Avril, et font les fous!

Et comme ils ont tiré rideaux lourds et verroux 
Et n'ont d'autre souci, parmi les fleurs bizarres, 
Que faire chère exquise, et fumer tabacs rares 
Ils sont encore au mois des lilas fleurant doux,

Cependant qu'au-dehors déjà le vent d'automne 
Dans un de profundis sceptique et monotone 

Emporte sous le ciel par les brumes sali,

Les feuilles d'or des bois et les placards moroses 
Jaunes, bleus, verts fielleux, écarlates ou roses, 
Des candidats noyés par l'averse et l'oubli.

Jules Laforgue

 

 

Jules LAFORGUE, SPLEEN 

(Le Sanglot de la terre, 1901)

 

Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau.
En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie.
En bas la rue où dans une brume de suie
Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.

Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,
Et machinalement sur la vitre ternie
Je fais du bout du doigt de la calligraphie.
Bah! sortons, je verrai peut-être du nouveau.

Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.
Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...
Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds...

Je mange, et bâille, et lis, rien ne me passionne...
Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun dort !
Seul je ne puis dormir et je m'ennuie encor.

 

Nationalité : France 
Né(e) à : Montevideo, Uruguay , le 16/08/1860
Mort(e) à : Paris , le 20/08/1887

 

Biographie de Jules LAFORGUE



Jules Laforgue est un poète du mouvement décadent français.

Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire son père. Jules et son frère aîné y sont confiés à des cousins. Entre 1868 et 1875, il est pensionnaire au lycée de Tarbes. En octobre 1876, il part vivre, avec sa famille rentrée d’Uruguay, à Paris. Sa mère meurt en couches en 1877 alors qu’il a 17 ans. Son père retourne à Tarbes tandis que Laforgue reste à Paris poursuivre ses études au lycée Condorcet. 

Après des études avortées, il mène une vie relativement difficile. Il fréquente le groupe littéraire des Hydropathes, qui réunit ceux qu’on appellera plus tard les symbolistes.

Sur la recommandation de son ami Gustave Kahn et par l’intermédiaire de Paul Bourget, il devient secrétaire du critique et collectionneur d’art Charles Ephrussi, qui possède une collection de tableaux impressionnistes. Jules Laforgue acquiert ainsi un goût sûr pour la peinture.

Lorsqu’il apprend la mort de son père, en 1881, il part pour Berlin, où il devient lecteur de l’Impératrice d’Allemagne Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach, grand-mère du futur Guillaume II. Son travail consiste à lire à l’impératrice, deux heures par jour, les meilleures pages des romans français et des articles de journaux comme ceux de La Revue des Deux Mondes. Il s’agit d’un emploi très rémunérateur (sa fratrie lui est à charge) qui lui laisse du temps libre et qui lui permet de voyager à travers l’Europe. Malgré cela, il éprouve ennui et mal de vivre.

En 1885, il publie "Les Complaintes" et l'année suivante "L’Imitation de Notre-Dame la Lune", toujours à compte d'auteur. La même année, il quitte son poste. A Berlin, il rencontre une jeune anglaise, Leah Lee, qu’il épouse le 31 décembre à Londres. Il rentre alors à Paris. Mais son état de santé se dégrade rapidement : atteint de phtisie, il meurt l'année suivante ; sa femme, atteinte du même mal, succombera un an après.

 

 

FRANCIS CARCO : Il pleut

   

À Éliane.

Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime.
Nous resterons à la maison :
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d’arrière-saison.
 
Il pleut. Les taxis vont et viennent.
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit... qu’on ne s’entend plus !
 
C’est merveilleux : il pleut. J’écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte...
Et tu me souris tendrement.
 
Je t’aime. Oh ! ce bruit d’eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu.
Tu vas me quitter tout à l’heure :
On dirait qu’il pleut dans tes yeux.

 

 

FRANCIS CARCO (1886-1958)

 
François Carcopino-Tusoli, dit Francis Carco, est un écrivain, poète, journaliste et auteur de chansons français d'origine corse, né le 3 juillet 1886 à Nouméa, décédé le 26 mai 1958 à Paris.
Francis Carco passe ses dix premières années en Nouvelle-Calédonie, où son père travaille comme gardien au bagne. Celui-ci étant nommé à Paris, Francis réside alors avec sa famille à Châtillon-sur-Seine. Confronté à l'autoritarisme et à la violence paternelle, il se réfugie dans la poésie, où s'exprime sa révolte intérieure.
En 1902, sa famille s’installe à Villefranche de Rouergue. Il fait de fréquents séjours chez sa grand-mère au 4 rue du Lycée à Nice. Là, il fait la connaissance d'Henri Matisse, puis de Colette. Il réside ensuite à Rodez, Lyon et Grenoble, des villes dont il parcourt et observe les bas-fonds.
Francis Carco monte à Paris à 24 ans. En 1911, il est l'un des fondateurs de "L'école fantaisiste" avec Paul-Jean Toulet, Tristan Derème et Jean Pellerin. Il publie son premier recueil, "La Bohême et mon cœur", en 1912. En 1913, Francis Carco rencontre Katherine Mansfield, « rebelle et pure jeune fille » originaire de Nouvelle-Zélande, qui a fui le domicile conjugal. Il entame avec elle une relation troublante, inaboutie, un « amour voué au désastre », comme il le disait lui-même, qui le marquera jusqu’à la fin de ses jours. Il s’installe brièvement avec elle dans son appartement du 13 Quai des Fleurs, à Paris.
Carco commence à fréquenter Montmartre, notamment le «Lapin Agile», où il croise  Pierre Mac Orlan et Roland Dorgelès. Il est aussi l'ami d'Apollinaire, Max Jacob, Maurice Utrillo, Modigliani, Pascin, Pablo Picasso. Il assure également la critique artistique dans les revues "L'Homme libre" et de "Gil Blas".
En 1914, il publie au Mercure de France "Jésus la Caille", histoire d’un proxénète homosexuel. Ce premier roman est applaudi par Paul Bourget. Mobilisé en août 1914, il rejoint son corps d’aviation à Besançon. D'autres livres suivront, notamment "L'homme traqué" (1922). Exprimant dans une langue forte et riche des sentiments très violents, "L'homme traqué" est un des romans les plus émouvants de Francis Carco. Viendront ensuite "L’ombre" (1933), "Brumes" (1935), ses œuvres les plus connues. Citons également "l'Equipe", "Rue Pigalle", "les Innocents", "Rien qu'une femme", "Perversité", "Vérotchka l'étrangère", "l'Ombre", "la Lumière noire", "Brumes", "l'Homme de minuit", "Surprenant procès d'un bourreau".

Francis Carco a aussi écrit ses "Souvenirs sur Toulet et Katherine Mansfield", "Maman Petitdoigt", "De Montmartre au Quartier latin", "A voix basse", "Nostalgie de Paris", des reportages sur le Milieu, et des biographies de Villon, Verlaine, Utrillo (1938), et Gérard de Nerval (1955).
En septembre 1939, il emménage à L'Isle-Adam, avant de s'exiler à Nice puis en Suisse. Après la guerre, il s'installe à nouveau à L'Isle-Adam. De 1949 à son décès, des suites de la maladie de Parkinson, Carco habitera 18 quai de Béthune, dans l'île Saint-Louis, à Paris. Il meurt le 28 mai 1958, en écoutant "L'Ajaccienne" jouée par la Garde républicaine qui passait sous ses fenêtres. Il est inhumé au cimetière de Bagneux. Son frère, Jean Marèze qui s’est suicidé en 1942, et sa seconde femme, Eliane, décédée en 1973, reposent à ses côtés.
Francis Carco a été membre de l'Académie Goncourt à partir de 1937. Surnommé "Le romancier des Apaches", il réalisa les plus forts tirages d'édition de l'entre-deux-guerres.

 

 

 

 

C'est en découvrant Les Illuminations de Rimbaud que Paul Claudel se mit à écrire plusieurs poèmes (Connaissance de l'Est). Paul Claudel était catholique, c'est pourquoi il s'inspire de la bible pour écrire des textes de théâtre comme Le Soulier de Satin. Ce premier recueil poétique sera suivi des Cinq Grandes Odes en 1910 qui laissera s'épanouir le souffle de la poésie lyrique et chrétienne de Claudel.

 

Paul CLAUDEL : La Pluie

  

   Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
  Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe, non pas au déclenchement d’aucune heure, je médite le ton innombrable et neutre du psaume.

  Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.

Paul Claudel

 

BIOGRAPHIE DE PAUL CLAUDEL

Né à Villeneuve-sur-Fère (Aisne), le 6 août 1868.

Ayant passé les premières années de sa vie en Champagne, Paul Claudel fut d’abord à l’école chez les sœurs, puis au lycée de Bar-le-Duc, avant d’entrer au lycée Louis-le-Grand en 1882, date à laquelle ses parents s’établirent à Paris.

A quinze ans il écrivait son premier essai dramatique : L’Endormie, puis, dans les années 90, ses premiers drames symbolistes (Tête d’Or, La Ville). Mais c’est l’année 1886 qui allait se révéler décisive pour le jeune Claudel, par sa rencontre avec la foi en Dieu, lors d’une fulgurante conversion, la nuit de Noël à Notre-Dame.

Parallèlement à ses activités d’écrivain, Paul Claudel devait mener pendant près de quarante ans une carrière de diplomate. Reçu en 1890 au petit concours des Affaires étrangères, il fut nommé en 1893 consul suppléant à New York, puis gérant du consulat de Boston en 1894. De la Chine (1895-1909) à Copenhague (1920), en passant par Prague, Francfort, Hambourg (où il se trouvait au moment de la déclaration de guerre) et Rio de Janeiro, ses fonctions le conduisirent à parcourir le monde. C’est au titre d’ambassadeur de France qu’il séjourna à Tokyo (1922-1928), Washington (1928-1933), et enfin à Bruxelles, où il devait achever sa carrière en 1936.

Son œuvre est empreinte d’un lyrisme puissant où s’exprime son christianisme. C’est à la Bible qu’il emprunte sa matière préférée : le verset dont il use autant dans sa poésie (Cinq grandes Odes), ses traités philosophico-poétiques (Connaissance de l’Est, Art poétique) que dans son théâtre (Partage du Midi). Œuvres de maturité, la trilogie dramatique : L’Otage — Le Pain dur — Le Père humilié, puis L’Annonce faite à Marie, et enfin Le Soulier de satin, son œuvre capitale, devaient lui apporter une gloire méritée. Le Soulier de satin, pièce épique et lyrique à la fois, où convergent tous les thèmes claudéliens, et d’une longueur inhabituelle pour la scène, fut représentée à la Comédie française pendant l’Occupation. Mais nul n’en tint rigueur à Claudel, pas plus que de son Ode au maréchal Pétain, car là aussi sa conversion fut rapide.

Il avait très amèrement ressenti son échec devant Claude Farrère, en 1935, qui apparut à beaucoup comme un scandale. Il devait être, onze ans plus tard, élu à l’Académie française, sans concurrent, le 4 avril 1946, à presque quatre-vingts ans, « l’âge de la puberté académique » comme il se plaisait à dire, par 24 voix au fauteuil de Louis Gillet. Il n’avait effectué aucune des visites rituelles, pas plus qu’il n’avait fait acte de candidature. On lui doit un mot resté célèbre, la première fois qu’il participa à un vote académique : « Mais c’est très amusant, ces élections : on devrait en faire plus souvent ! ».

François Mauriac, qui le reçut le 13 mars 1947, a consacré à Claudel académicien plusieurs pages de son Bloc-notes : « Et qui dira le splendide isolement de Claudel ? Booz dont le socle est fait de gerbes accumulées, avec Dieu à portée de sa voix, mais aucune rose à ses pieds, seulement ces grains de sable que nous sommes.... »

Mort le 23 février 1955.

 

 

GUILLAUME APOLLINAIRE :
IL PLEUT

 

 

Ce poème fait partie des Calligrammes. Apollinaire les a d'abord appelé "idéogrammes lyriques". Un calligramme est la mise en forme de mots qui représentent un dessin, une image en relation avec le contenu du texte.

Très jeune, Apollinaire s'est intéressé à l'écriture cunéiforme et au chinois (écriture idéographique).

Depuis le mouvement symboliste, on s'intéresse à la disposition typographique des mots dans la page. Au même moment, il y a le futurisme qui s'épanouit en Italie. Ces futuristes proclament "les mots en liberté", ce que soit dans la syntaxe ou dans la mise en page.

Apollinaire s'intéresse à la peinture et fait le compte-rendu des salons de peinture. Il s'intéresse au cubisme et va faire illustrer "le bestiaire" par le peintre Raoul Dufy.

Il va avoir une liaison avec Marie Laurencin (peintre). Le poème date du 7 Juillet 1914, il vient alors de rompre avec elle.

 

Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir 
C'est vous aussi qu'il pleut merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes
Et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes auriculaires 
Écoute s'il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique 
Ecoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas.

 

 

BIOGRAPHIE DE GUILLAUME APOLLINAIRE
(1880-1918)

Nationalité : France 
Né(e) à : Rome , le 26/08/1880
Mort(e) à : Paris , le 09/11/1918

Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Albert Włodzimierz Apollinary de Wąż-Kostrowicki, est un poète et écrivain naturalisé français (1916), né sujet polonais de l'Empire russe. 

Né de père inconnu, d'une mère demi-mondaine, il finit par s'établir à Paris où il fait tous les métiers y compris "nègre" pour des romans-feuilletons. Sensible, vite amoureux, souvent déçu et éconduit, il devient le "Mal-Aimé" dont la Chanson retracera les déboires. L'une de ses égéries est la peintre célèbre, Marie Laurencin.
Il est considéré comme l'un des principaux poètes français du début du XXe siècle, avec des recueils comme : "Alcools", "Calligrammes", "Poèmes à Lou", "Il y a...", "Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée". 
Il écrit également des nouvelles ("Le Poète assassiné") et des romans érotiques ("Les Onze Mille Verges"), ainsi que du théâtre ("Les Mamelles de Tirésias"). Il pratique le calligramme (terme de son invention désignant ses poèmes écrits en forme de dessins et non de forme classique en vers et strophes). 
Engagé dans la guerre de 14, il est gravement blessé (il s'appelle lui-même "le poète à la tête étoilée"-) mais c'est la grippe espagnole qui l'emporte au moment où, ironie, est signé l'armistice de 1918.
Il est le chantre de toutes les avant-gardes artistiques, notamment le cubisme, ami et complice des peintres de son époque, poète et théoricien de l'Esprit nouveau, et précurseur du surréalisme dont il a forgé le nom.
La tombe de Guillaume Apollinaire se trouve au cimetière du Père-Lachaise. Son nom est cité sur les plaques commémoratives du Panthéon de Paris dans la liste des écrivains ayant combattu pendant la première guerre mondiale. 

 

MARC ALYN

Suspendue à ses fils en chemise de nuit
La pluie lit le journal au soleil de midi.

Elle lit, et bientôt les nouvelles l'ennuient.
Quelle Terre à soucis ! Que de mélancolie !

Et l'on croit qu'elle pleure alors qu'elle, la pluie,
Ne cesse dans son cœur de rire à la folie!

- Si je tenais ici l'animal qui a dit :
"Triste comme la pluie", il verrait du pays !

En s'étirant, la pluie reprend le journal gris.
-Que dit la météo ? "Aujourd'hui : de la pluie".

Alors elle soupire et s'en va dans Paris
Arroser les jardins, les chats et les souris.

Marc Alyn

 
Biographie

Marc Alyn est né en 1937, à Reims. Il entre en poésie par un coup d’éclat, recevant à vingt ans le Prix Max Jacob.

A côté de nombreux ouvrages en prose (critique, roman, théâtre), il fait paraître plus d’une quinzaine de recueils de poèmes qui le situent "au rang des plus grands", selon Alain Bosquet. Il a reçu le Prix Apollinaire en 1973 pour Infini au-delà. En 1994, il obtient le Grand Prix de Poésie de l’Académie française et le Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres pour l’ensemble de son œuvre.

 

"Marc Alyn forme le projet ambitieux qui le caractérise : renverser la négativité de son temps, restaurer l’ombre contre le jour, et le lyrisme contre la sécheresse : en somme faire surgir entre les mots hachés, dispersés et blanchis du présent le sens venu d’autrefois et d’ailleurs pour en nourrir cet acte de parole qu’est un grand poème. La partialité de Marc Alyn sera donc le lyrisme".

Bernard Noël


"Chacun de ses livres est un pas lui permettant d’accéder au mystère, d’exprimer l’indicible dans la clarté. Il est allé au-delà des données de la spontanéité pour écrire comme on grave, de manière durable. Chaque poème est genèse d’un monde idéal. Nocturne ou solaire, il est rayonnant. L'harmonieuse cadence le guide dans sa quête métaphysique".

Robert Sabatier

Histoire de la Poésie française

Bourse Goncourt de la poésie 2007 pour l'ensemble de l'œuvre.

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Bibliographie

Poésie

·  La combustion de l'ange, Le Castor Astral, 2011

·  Le Tireur isolé, Phi, 2010

·  Monsieur le chat, promenades littéraires, Ecriture, 2009

·  Les Miroirs voyants sur l'art contemporainn, éditions Voix d'encre, 2005

·  Le Piéton Venise, Bartillat, 2005

·  Le Silentiaire, Ed. Dumerchez, 2004

·  Mémoires provisoires, L'Harmattan, 2002

·  Le Miel de l'abîme, L’Harmattan, 1999

·  L'Oeil imaginaire, L’Harmattan, 1998

·  Nuit majeure, Infini au-delà (Prix Apollinaire), Ed. Flammarion, 1992

·  L'arche enchantée, Ed L'Atelier, 1989

Essais

·  Venise démons et merveilles, éditions Ecriture 2014

 

 

 

 

BIOGRAPHIE DE FRANCIS PONGE

 

Nationalité : France 

Né(e) à : Montpellier, le 27 mars 1899

Mort(e) à : Bar-sur-Loup, le 6 août 1988 

Élevé au sein d'une famille protestante aisée, Francis Ponge connaît une enfance agréable. Ses études supérieures étaient un véritable échec : il ne parvient à obtenir ni sa licence de philosophie ni son entrée à l'Ecole Normale, or ces déceptions ne l’éloigneront pas de la littérature ou de l'écriture. Il partage son temps entre son travail et l'écriture. 

Militant communiste, délégué syndical, il perd son emploi lors des grèves de 1936 et quitte Paris en 1940 pour entrer dans la Résistance. 'Le Parti pris des choses' (1942), pose les éléments essentiels de sa vision poétique, différente de celles des surréalistes, et des autres grands poètes Saint-John Perse et René Char : Ponge dissèque les objets, en abolissant la frontière entre le mot et la chose qu'il désigne. Il se fait le poète du quotidien, matérialiste, sensualiste, sous la plume duquel 'L'Huître', 'Le Savon', 'La Pomme de terre' ou 'La Cruche' deviennent littérairement et littéralement palpables. 

Devenu professeur après la guerre, il écrit poèmes et essais en parallèle, ('Méthodes', 'La Fabrique du pré) ('La Rage de l'expression', 'Le Grand Recueil'). 

Considéré par Jean-Paul Sartre et Philippe Sollers comme l'un des auteurs majeurs de la poésie contemporaine, Francis Ponge a eu le Grand prix de poésie de l'Académie française en 1984.



 

Francis Ponge (1899-1988) est un poète du XXème siècle proche du surréalisme. Résistant durant la guerre, il est solitaire mais bien intégré dans la vie de son époque. En 1942, il publie le recueil Le parti pris des choses, il décrit avec son regard des objets ou des phénomènes simples du quotidien. C'est dans ce contexte qu'il décrit « La pluie ».

Tout d'abord, c'est le récit d'une averse qui sera étudié, puis nous verrons en quoi Ponge apporte un regard nouveau sur la pluie.

 

Francis PONGE : La pluie


    La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.


    Chacune de ses formes a une allure particulière : il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.

    La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

    Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu.


Francis Ponge - Le Parti pris des choses – 1942

 

 

 

 

PIERRE REVERDY : Avant l'orage

 

  Je marchais en chantant

Sur le chemin fermé

  Le ciel était tombé à quelques pas

Parmi les pierres Je me suis arrêté

  J'ai regardé derrière

Avec leurs bras levés cheminées de chaumières chevelures au vent qui se sont dispersées

  Et tout ce qui s'élève

Et qui s'est en allé

  Dans ma poitrine vide

Une goutte est tombée

  Une goutte de pluie lourde comme une larme

En regardant plus loin

  Et par-dessus les arbres

 

 

Chacun sa part

 

Il a chassé la lune, il a laissé la nuit. Une à une les étoiles sont tombées dans un fi let d'eau vive. Derrière les trembles un étrange pêcheur guette avec impatience d'un œil ouvert, le seul, caché sous son large chapeau ; et la ligne frémit.

Rien ne se prend, mais il emplit sa gibecière de pièces d'or dont l'éclat s'est éteint dans le panier fermé.

Mais un autre attendait plus loin du bord. Plus modeste il pêchait dans la flaque de boue qu'avait laissée la pluie.

Cette eau, venue du ciel, était pleine d'étoiles.

 

 

Extrait du recueil « LES ARDOISES DU TOIT », écrit par Pierre REVERDY  en 1918. Pierre REVERDY  s’inscrit dans le surréalisme, il s’associe à de grands artistes tels que Pablo PICASSO ou Henri MATISSE. Des artistes qui vont prôner les valeurs de l’irrationnel, de l’absurde, du rêve et de la révolte.

Pierre Reverdy, à travers un poème lyrique dénonce les horreurs et les conséquences apocalyptiques de la guerre...

 

En face

 

Au bord du toit


Un nuage danse
Trois gouttes d’eau pendent à


La gouttière
Trois étoiles


Des diamants
Et vos yeux brillants qui regardent
Le soleil derrière la vitre

 

Midi

 

 


 

Pierre REVERDY : Jour monotone

 

A cause de l'eau le toit glisse 
A cause de la pluie tout se fond 
Le pétrole l'alcool et ma faible bougie 
Ont incendié la maison

Un jardin sans oiseaux



Un jardin sans bruit

Vous allez cueillir des fleurs noires

Les feuilles ne sont jamais vertes

Toutes les épines sont rouges

Et vos mains sont ensanglantées

Dans l'allée du milieu passe une procession

Par la fenêtre de la morte

Où brûle un cierge

Il sort une lente chanson

C'était elle et l'autre

La voisine aussi

Tout le monde chante à tue-tête



Et dans l'escalier où l'on rit 
Quelqu'un qui tombe pousse un cri 
Un chien se sauve

On n'entend pleurer que la pluie

 

 

BIOGRAPHIE DE PIERRE REVERDY (1889-1960)

 

 

Nationalité : France 
Né(e) à : Narbonne , le 13/09/1889
Mort(e) à : Abbaye de Solesmes , le 17/06/1960

Pierre Reverdy a grandi au pied de la Montagne Noire dans la maison de son père. Celui-ci lui a appris a lire et écrire. Il venait d'une famille de sculpteurs, de tailleurs de pierre d'église. Toute sa vie en sera marquée par un sentiment de religiosité profonde que l'on retrouve dans sa poésie. Il a poursuivit ses études a Toulouse et a Narbonne.
Il arrive a Paris en octobre 1910. Il y rencontre ses premiers amis, à Montmartre, du coté du désormais célèbre Bateau-lavoir. Pendant seize ans, il vivra, survivra, pour créer des livres. Ses compagnons sont Picasso, Braque, Matisse, et bien d'autres. 
Toutes ces années sont liées de près ou de loin à l'essor du Surréalisme, dont il sera l'un des inspirateurs, même si Reverdy ne s'y liera jamais, il influença par son approche des gens comme Aragon, André Breton ou Paul Eluard. En 1917, il fonde la revue Nord-Sud à laquelle collaboreront Apollinaire, Aragon, Breton, Tzara et bien d'autres. Au début des années 20, il fut l'amant de Gabrielle Chanel à qui il dédicaça de nombreux poèmes.
Puis, en 1926, il choisit Dieu et part vivre à Solesmes, il avait alors 37 ans, il y restera jusqu'à sa mort, à 71 ans en 1960. Là sont nés ses plus beaux recueils, tels Sources du vent, Ferraille, le chant des morts... 

LA PLUIE EN POESIE
Emile VERHAEREN  
(1855-1916)

   Emile Adolphe Gustave Verhaeren est un poète belge flamand, d'expression française.
Verhaeren naquit dans une famille aisée où on parlait le français, tandis qu'au village et à l'école régnait le flamand. Il fréquenta d'abord l'internat francophone Sainte-Barbe, tenu par des jésuites à Gand, puis il étudia le droit dans la vieille université de Louvain. C'est là qu'il rencontra le cercle des écrivains qui animaient La Jeune Belgique et il publia en 1879 les premiers articles de son cru dans des revues d'étudiants. C'est alors qu'il décida de renoncer à une carrière juridique et de devenir écrivain. Il publiait des poèmes et des articles critiques dans les revues belges et étrangères, entre autres L'Art moderne et La Jeune Belgique
En 1883, il publia son premier recueil de poèmes réalistes-naturalistes, Les Flamandes, consacré à son pays natal. Accueilli avec enthousiasme par l'avant-garde, l'ouvrage fit scandale au pays natal. Ses parents essayèrent même avec l'aide du curé du village d'acheter la totalité du tirage et de le détruire. Le scandale avait été un but inavoué du poète, afin de devenir connu plus rapidement. Il n'en continua pas moins par la suite à publier d'autres livres de poésies. 
Dans les années 1890, Verhaeren s'intéressa aux questions sociales et aux théories socialistes et travailla à rendre dans ses poèmes l'atmosphère de la grande ville et son opposé, la vie à la campagne. Il exprima ses visions d'un temps nouveau dans des recueils comme Les Campagnes hallucinées, Les Villes tentaculaires, Les Villages illusoires et dans sa pièce de théâtre Les Aubes. Ces poèmes le rendirent célèbre, et son œuvre fut traduite et commentée dans le monde entier. Il voyagea pour faire des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe.
Quand en 1914 la Première Guerre mondiale éclata et que, malgré sa neutralité, la Belgique fut occupée par les troupes allemandes, Verhaeren se trouvait en Allemagne et était au sommet de sa gloire. Il écrivit des poèmes pacifistes et lutta contre la folie de la guerre dans les anthologies lyriques.
Après l'une de ces conférences à Rouen, il mourut accidentellement sous les roues d'un train qui partait. 

La pluie

 

Longue comme des fils sans fin, la longue pluie
Interminablement, à travers le jour gris,
Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,
Infiniment, la pluie,
La longue pluie,
La pluie.

Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,
Des haillons mous qui pendent,
Au ciel maussade et noir.
Elle s'étire, patiente et lente,
Sur les chemins, depuis hier soir,
Sur les chemins et les venelles,
Continuelle.

Au long des lieues,
Qui vont des champs vers les banlieues,
Par les routes interminablement courbées,
Passent, peinant, suant, fumant,
En un profil d'enterrement,
Les attelages, bâches bombées ;
Dans les ornières régulières
Parallèles si longuement
Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,
L'eau dégoutte, pendant des heures ;
Et les arbres pleurent et les demeures,
Mouillés qu'ils sont de longue pluie,
Tenacement, indéfinie.

Les rivières, à travers leurs digues pourries,
Se dégonflent sur les prairies,
Où flotte au loin du foin noyé ;
Le vent gifle aulnes et noyers ;
Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,
De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;

Le soir approche, avec ses ombres,
Dont les plaines et les taillis s'encombrent,
Et c'est toujours la pluie
La longue pluie
Fine et dense, comme la suie.

La longue pluie,
La pluie - et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
Tissent le vêtement,
Maille à maille, de dénûment,
Pour les maisons et les enclos
Des villages gris et vieillots :
Linges et chapelets de loques
Qui s'effiloquent,
Au long de bâtons droits ;
Bleus colombiers collés au toit ;
Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,
Un emplâtre de papier bistre ;
Logis dont les gouttières régulières
Forment des croix sur des pignons de pierre ;
Moulins plantés uniformes et mornes,
Sur leur butte, comme des cornes

Clochers et chapelles voisines,
La pluie,
La longue pluie,
Pendant l'hiver, les assassine.

La pluie,
La longue pluie, avec ses longs fils gris.
Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,
La longue pluie
Des vieux pays,
Eternelle et torpide !

 

 

 

 

Raymond QUENEAU (1903-1976)

BIOGRAPHIE

Raymond Queneau est né au Havre en 1903. Venu à Paris pour passer sa licence de philosophie, il s'intéresse au surréalisme, à l'histoire des religions et à la psychanalyse. Après son service militaire, il est successivement employé de banque, professeur de français, journaliste et traducteur. En 1933 il publie Le Chiendent aux éditions de la N.R.F. Il publiera ensuite romans, essais et poèmes. En 1938, il entre comme lecteurs aux éditions Gallimard et la N.R.F., dont il devient secrétaire générale en 1941. Il est élu membre de l'Académie Goncourt en 1951 et en 1956, il prend la direction de l'Encyclopédie de la Pléiade. 

ZAZIE DANS LE MÉTRO, l'un de ses romans les plus connus a été publié pour la première fois en 1959 et porté à l'écran par Louis Malle

Romancierpoète,dramaturge français, cofondateur du groupe littéraire Oulipo. Il meurt en 1976.

Il pleut

 

Averse averse averse averse averse averse

ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie !

gouttes d'eau gouttes d'eau gouttes d'eau gouttes d'eau

parapluie ô parapluie ô paraverse ô!

paragouttes d'eau paragouttes d'eau de pluie

capuchons pèlerines et imperméables

que la pluie est humide et que l'eau mouille et mouille!

mouille l'eau mouille l'eau mouille l'eau mouille l'eau

et que c'est agréable agréable agréable

d'avoir les pieds mouillés et les cheveux humides

tout humides d'averses et de pluie et de gouttes

d'eau de pluie et d'averse et sans un paragoutte

pour protéger les pieds et les cheveux mouillés

qui ne vont plus friser qui ne vont plus friser

à cause de l'averse à cause de la pluie

à cause de l'averse et des gouttes de pluie

des gouttes d'eau de pluie et des gouttes d'averse

cheveux désarçonnés cheveux sans parapluie

Raymond Queneau

 

 

 

JACQUES PREVERT (1900-1977)

Jacques Prévert est né le 4 février 1900 et est mort le 11 avril 1977. Il a eu beaucoup de mal à se faire reconnaître des critiques car on lui reprochait la trop grande simplicité de sa poésie.  A présent, il est considéré comme un des plus grands poètes du XXème siècle et il est publié dans la collection de La Pléiade, synonyme de consécration et d’honneur pour un écrivain. La poésie Barbara est extraite de Paroles, paru en 1946. C’est un texte de circonstances qui se réfère aux 165 bombardements de la ville de Brest entre le 19 juin 1940 et le 18 septembre 1944. La destruction complète de la ville inspire une réflexion pessimiste sur l’amour et la vie.

Barbara

 

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
É panouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.


Jacques Prévert, Paroles

 
LYRISME DE LA PLUIE :
CHANSON DE NOUGARO
LA PLUIE FAIT DES CLAQUETTES


La pluie fait des claquettes
Sur le trottoir à minuit
Parfois je m'y arrête
Je l'admire, j'applaudis
Je suis son chapeau claque
Son queue-de-pie vertical
Son sourire de nacre
Sa pointure de cristal

Bip, bip, bip, ..., la pluie

Aussi douce que Marlène
Aussi vache que Dietrich
Elle troue mon bas de laine
Que je sois riche ou pas riche
Mais quand j'en ai ma claque
Elle essuie mes revers
Et m'embrasse dans la flaque
D'un soleil à l'envers

Bip, bip, bip, ..., la pluie

Avec elle, je m'embarque
En rivière de diamant
J'la suis dans les cloaques
Où elle claque son argent
Je la suis sur la vitre
D'un poète endormi
La tempe sur le titre
Du poème ennemi

Bip, bip, bip, ..., la pluie

A force de rasades
De tournées des grands ducs
Je flotte en nos gambades
La pluie perd tout son suc
Quittons-nous dis-je c'est l'heure
Et voici mon îlot
Salut, pourquoi tu pleures
Parce que je t'aime, salaud

Bip, bip, bip, ...

La pluie fait des claquettes
Sur le trottoir à minuit

 

 

http://www.paroles-musique.com/paroles-Claude_Nougaro-La_Pluie_Fait_Des_Claquettes-lyrics,p79950

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