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billets d'humeur, notes de lecture, réactions de spectatrice...

BAUDELAIRE, POETE DE LA MODERNITE ?

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BAUDELAIRE photographié par NADAR

LECTURE ANALYTIQUE :
« A une mendiante rousse »
de Charles BAUDELAIRE
(Fleurs du mal,1857)

 

Blanche fille aux cheveux roux, 
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté 
Et la beauté,

Pour moi, poète chétif, 
Ton jeune corps maladif, 
Plein de taches de rousseur, 
A sa douceur.

Tu portes plus galamment 
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.

Au lieu d'un haillon trop court, 
Qu'un superbe habit de cour 
Traîne à plis bruyants et longs 
Sur tes talons ;

En place de bas troués, 
Que pour les yeux des roués 
Sur ta jambe un poignard d'or 
Reluise encor ;

Que des nœuds mal attachés 
Dévoilent pour nos péchés 
Tes deux beaux seins, radieux 
Comme des yeux ;

Que pour te déshabiller 
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins
Les doigts lutins,

Perles de la plus belle eau, 
Sonnets de maître Belleau
Par tes galants mis aux fers 
Sans cesse offerts,

Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs 
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,

Maint page épris du hasard, 
Maint seigneur et maint Ronsard 
Épieraient pour le déduit 
Ton frais réduit !

Tu compterais dans tes lits 
Plus de baisers que de lis 
Et rangerais sous tes lois
Plus d'un Valois !

- Cependant tu vas gueusant 
Quelque vieux débris gisant 
Au seuil de quelque Véfour
De carrefour ;

Tu vas lorgnant en dessous 
Des bijoux de vingt-neuf sous 
Dont je ne puis, oh ! pardon !
Te faire don.

Va donc ! sans autre ornement, 
Parfum, perles, diamant, 
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté !

 

 

NOTES :

1. Les cothurnes dans l'Antiquité désignent des chaussures montantes à la semelle épaisse (symbole du registre tragique).

2. Roué : au 18ème siècle, débauché, digne du supplice de la roue, par extension personne rusée.

3. BELLEAU (Rémy ou Rémi) : poète et érudit français du 16ème s., traducteur d'ANACREON et membre de la Pléiade. Poésie gracieuse, consacrée à la nature et à l'amour.

4. RONSARD (Pierre de) : poète de la Pléiade, son nom est pris ici pour un synonyme d'admirateur de la beauté féminine.

5. Le déduit : de l'ancien français "déduire" (divertir). Terme archaïque qui correspond au sens de jeu amoureux ou de plaisir.

6. "Ton frais réduit" : archaïsme pour désigner le sexe féminin.

7. Valois : dynastie des rois de France qui précède celle des Bourbons, branche des Capétiens dont le règne en France va de 1328 à 1589.

8. Gueusant : participe présent ou adjectif verbal, du verbe "gueuser", vivre en mendiant (ici, mendier).

9. Véfour : célèbre restaurant parisien du 19ème siècle (restaurant de luxe).

 

 

  Mendiante rousse par Emile DEROY

 

LE PEINTRE EMILE DEROY

 

Emile Deroy est un artiste méconnu du XIXème siècle qui ne fait pas l’objet d’une documentation abondante. En effet, ce peintre est mort jeune comme l’explique Jérémie BENOIT, conservateur du musée national du château de Versailles, dans un article disponible sur le site histoire-image.org. Ce site est réalisé en partenariat avec la Direction générale des patrimoines réalisé à l’initiative de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, du ministère de la culture et de la communication, du ministère de l’éducation. L’article offre donc une description, une analyse et une contextualisation du portrait de Baudelaire peint par Emile Deroy, ce qui donne à penser que le peintre n’est connu qu’à travers la figure du poète avec qui il entretenait une amitié. Il convient donc de mentionner l’article de Jean Ziegler: Emile Deroy (1820-1846) et l’esthétique de Baudelaire, publié dans la Gazette des Beaux-Arts dans le numéro mai-juin 1976 et qui semble être la référence au sujet du peintre, article qui n’est malheureusement pas disponible en ligne. Cependant sont disponibles sur les serveurs scolar et persée des articles en lien avec Emile Deroy, mais toujours rattachés à la figure de Baudelaire.

En ce qui concerne ce tableau, il semblerait que ce soit la représentation offerte par Deroy de cette figure féminine qui ait inspiré Charles Baudelaire pour son poème portant le même nom. Ce poème prend place dans la partie des Tableaux parisiens du recueil de poèmes Les Fleurs du Mal.

Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.

(…)

Que des nœuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux

 

Ainsi Baudelaire aurait fréquenté une jeune fille à qui est dédié son poème.

 

N.B. : Le poème a été mis en musique notamment par le groupe La Tordue, groupe de rock indépendant qui s’inspire de la chanson réaliste populaire.

 

Mais qui est cette jeune fille au visage de glace cerclée de boucles de feu ? Que veut dire ce regard fier, défiant, presque provocateur ? A la lecture du cartel que le musée du Louvre lui attribue, il semblerait que cette jeune femme (jeune fille ?) soit une chanteuse des rues, issue donc de la classe populaire. Il est intéressant d’observer la touche du peintre, une touche libre, généreuse. En effet c’est par cette touche vigoureuse, dans ce rendu de la matière que s’exprime toute l’humanité de cette figure fluette.

Cette « vie » que retranscrit l’œuvre de Deroy date de 1843 : c’est l’apogée du romantisme.

Un site du CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique) de  l’académie de Rouen offre une vue d'ensemble de ce mouvement artistique majeur du XIXème siècle : on y souligne l'exaltation des sentiments, domaine d’inspiration principal des artistes romantiques. Mais ce qui caractérise aussi le romantisme c’est un engagement politique prononcé, un nouveau rapport au statut de l’artiste qui se voit investit d’une mission d’ordre social. Cela peut être appuyé notamment par la peinture d'histoire, et révèle des artistes engagés dans les problématiques de leur temps.

 

Dans ce contexte, La petite mendiante rousse de Deroy prend tout son sens : faire le portrait d’une jeune femme issue des classes populaires est déjà un engagement politique en soi, et peut donner un sens à son regard fier presque provocateur. L’art devient le miroir d’une réalité sociale. De plus, la chanteuse de rue qu’il choisit de représenter est rousse et  cette caractéristique a sûrement incliné le choix du peintre à la représenter elle plutôt qu’une autre : ce choix est provocateur si on s’en tient à l'histoire des femmes rousses. Tout comme Baudelaire qui célèbre la beauté de son amante rousse, ce tableau célèbre une femme, de petite condition, rousse. L’évolution du statut de la femme rousse réside dans le fait qu’on leur accorde une visibilité, une importance au XIXème siècle. Les artistes romantiques vont contribuer à véhiculer une nouvelle image de la femme rousse durant tout le siècle : celle d’une femme charnelle, que l’on désire.

 

 

                                                                                                                             

Il s’agit ici d’un poème au ton léger, dans un registre amoureux, sous la forme de l’adresse à la femme aimée, ce qui est assez traditionnel (on peut penser précisément à Ronsard qui est ici cité). Cette impression de légèreté est bien sûr provoquée par le choix des vers : alors que la plupart des poèmes des Fleurs du Mal sont en alexandrins, Baudelaire opte ici pour des heptasyllabes et des tétrasyllabes regroupés en quatrains de rimes suivies.

Tout le long du poème, on retrouve un motif commun : chaque strophe associe un élément positif (la « beauté », les « brodequins de velours »…) et un élément négatif (la « pauvreté », les « sabots lourds »). J’y verrais un signe de modernité : au lieu de simplement faire le blason des beautés de la femme aimée (ce qui aurait été très traditionnel), le poète trouve ici de la beauté dans des laideurs. En somme, le poète moderne est un incompris, un être à part, capable de voir de la beauté là où les autres n’en voient pas. Le poète le dit bien dans la deuxième strophe : « Pour moi, poète chétif », le « corps maladif » de la mendiante a ses « douceurs ».

A partir de la quatrième strophe, le poème se place dans l’irréel, marqué par des subjonctifs et des conditionnels. Le poète imagine à quoi ressemblerait la mendiante si elle ne portait pas des habits de mendiante :

« Au lieu d’un haillon trop court,
Qu’un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons ; »

 

Qu’elle porte un « superbe habit de cour », et tous les poètes seraient à ses pieds ! Charles Baudelaire parle notamment de « maître Belleau » (probablement le poète Rémy Belleau) et de « maint Ronsard », tous deux poètes de la Pléiade*.

Mais précisément, Charles Baudelaire n’est pas un poète de la Pléiade. Contrairement à ces deux poètes qu’il évoque, il est un poète moderne du XIXe siècle. Et lui n’a pas besoin qu’une femme soit vêtue comme une princesse pour chanter ses louanges :

« Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté ! »

En faisant rimer « maigre nudité » avec « beauté », Charles Baudelaire sort des stéréotypes traditionnels. La beauté ne se trouve plus dans des ornements ou des pierres précieuses, mais dans la maigreur maladive d’une mendiante. Ce faisant, c’est aussi la singularité de son propre regard que le poète met en avant.

 

 

*La Pléiade (du grec "Pleias", constellation de sept étoiles)

Groupe de sept poètes grecs d'Alexandrie (3ème siècle av. J.C.).

Au 16ème siècle, la Pléiade désigne un groupe de sept écrivains et poètes constitué autour de l'hélléniste DORAT, principal du collège de Coqueret à Paris. Ses membres sont en 1556 :

DU BELLAY, RONSARD, BAIF, PONTHUS DE TYARD, BELLEAU, JODELLE, PELLETIER DU MANS. Les idées du groupe sont exposées dans le manifeste Défense et Illustration de la langue française, rédigé par DU BELLAY en 1549.

Ils lisaient les oeuvres latines et grecques, connaissaient PINDARE, HORACE (cf. Odes épicuriennes adaptées par RONSARD), PLATON, la poésie italienne (L'ARIOSTE, PETRARQUE qu'ils admirent : cf. le sonnet). La littérature antique donne lieu à de nombreuses traductions et imitations. Le poète recrée une oeuvre original autant par son travail que par son inspiration. Sorte d'ORPHEE moderne, le poète n'est plus l'amuseur médiéval mais un chercheur d'immortalité.

L'écriture poétique amène un enrichissement de la langue française : reprise de mots rares ou vieillis, dialectaux ou techniques, création de mots nouveaux, composés comme en grec (on aime les suffixes diminutifs par exemple en -ette) ou empruntés à des langues anciennes. Ils réinventent une syntaxe inspirée du latin et du grec : ainsi, l'adjectif remplace l'adverbe ou est substantivé.

Le style très recherché se caractérise par une profusion de comparaisons, de métaphores, d'allégories, destinées à exprimer l'érudition du poète autant qu'à stimuler l'imagination du lecteur.

La renaissance des formes poétiques : on rejette les formes médiévales (rondeau, ballades...) au profit des formes antiques : celles de l'ode et de l'épopée par exemple, et surtout au profit du sonnet repris de PETRARQUE (déjà introduit en France par MAROT).

Parallèlement, en métrique, on ne recherche plus la virtuosité technique du Moyen Age, mais davantage l'harmonie et la musicalité : de là le choix de l'alternance entre rimes masculines et féminines, et surtout celui de l'alexandrin qui prend le pas sur le décasyllabe.

 

ODE : étymologiquement, du grec "ôdê", "chant"

Dans la Grèce ancienne, poème lyrique chanté célébrant les athlètes vainqueurs aux jeux.

Modèle antique : PINDARE (521-441 av. J.C.) écrit des odes pleines de grandeur épique, structurées en triades ou groupes de trois couplets. Odes au lyrisme éclatant, reposant sur de larges envolées rythmiques qui mêlent en un "beau désordre" (cf. BOILEAU) apostrophes, invocations, symboles, souvenirs mythologiques et comparaisons grandioses.

Poète latin HORACE (65-8 av. J.C.) : inspiration plus mesurée, plus intimiste, exprimant la vision épicurienne du monde en un lyrisme plus familier.

A la Renaissance, RONSARD, soucieux de restaurer le lyrisme de l'Antiquité, imite ces deux grands modèles dans ses cinq livres d'Odes. Il glisse progressivement vers une inspiration moins élevée, à la manière d'ANACREON (VIème siècle av. J.C.).

 

REFERENCE A UN POEME BAROQUE

 

Genre de l'éloge paradoxal : 

Le problème est contenu dans le titre : on perçoit une tension dans le rapprochement de "Belle" et de "gueuse" (qui forment un oxymore). Une gueuse est une pauvresse, une mendiante, nous dirions une clocharde. Elle est clocharde, mais elle est belle, elle est belle, mais elle est clocharde... La beauté émane de son statut même de misérable, elle est d'autant plus perceptible que la "gueuse" ne dispose d'aucun moyen pour mettre en valeur sa beauté naturelle (elle n'en a pas besoin).

 

La belle gueuse de TRISTAN LHERMITE

(poème parfois intitulé "madrigal",  lmadrigal est une forme ancienne de musique vocale qui s'est développée au cours de la Renaissance et au début de la période baroque

 

Ô que d'appas en ce visage
Plein de jeunesse et de beauté, 
Qui semble trahir son langage
Et démentir sa pauvreté !

Ce rare honneur des orphelines,
Couvert de ces mauvais habits,
Nous découvre des perles fines
Dans une boîte de rubis.

Ses yeux sont des saphirs qui brillent,
Et ses cheveux qui s'éparpillent
Font montre d'une riche trésor.

À quoi bon sa triste requête,
Si pour faire pleuvoir de l'or,
Elle n'a qu'à baisser la tête !

UN GENRE D'ELOGE POETIQUE FORTEMENT PRISE AU 16ème SIECLE : LE BLASON
Blason de l’oeil 
Mellin de SAINT-GELAIS
Recueil : "Oeuvres"

Oeil attrayant, oeil arrêté,
De qui la céleste clarté
Peut les plus clairs yeux éblouir,
Et les plus tristes éjouir
Oeil, le seul soleil de mon âme,
De qui la non visible flamme
En moi fait tous les changements
Qu’un soleil fait aux éléments,
Disposant le monde par eux
À temps froid ou à chaleureux,
A temps pluvieux ou serein,
Selon qu’il est proche ou lointain.
Car, quand de vous loin je me trouve,
Bel oeil, il est force qu’il pleuve
Des miens une obscure nuée,
Qui jamais n’est diminuée,
Ni ne s’éclaircit ou découvre,
Jusqu’à tant que je vous recouvre ;
Et puis nommer avec raison
Mon triste hiver cette saison.
Mais quand il vous plaît qu’il advienne
Que mon soleil à moi revienne,
Il n’est pas si tôt apparu,
Que tout mon froid est disparu
Et qu’il n’amène un beau printemps
Qui rend mes esprits tout contents ;
Et hors de l’humeur de mes pleurs
Je sens renaître en lieu de fleurs
Dans mon coeur dix mille pensées
Si douces et si dispensées
Du sort commun de cette vie,
Qu’aux dieux ne porte nulle envie.

Le Beau Tetin

Tetin refaict, plus blanc qu'un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d'Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu'il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin quijamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compaignon,
Tetin qui porte temoignaige
Du demourant du personnage.
Quand on te voit il vient à mainctz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une aultre envie.
O tetin ni grand ni petit,
Tetin meur, tetin d'appetit,
Tetin qui nuict et jour criez
Mariez moy tost, mariez !
Tetin qui t'enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy qui de laict t'emplira,
Faisant d'un tetin de pucelle
Tetin de femme entiere et belle.

Clément Marot (1496-1544), Épigrammes, 1535.

 

Clément MAROT, "Du Laid Tétin"

ou le genre du contre-blason...

 

Tetin, qui n'as rien, que la peau,
Tetin flac, tetin de drapeau,
Grand' Tetine, longue Tetasse,
Tetin, doy-je dire bezasse ?
Tetin au grand vilain bout noir,
Comme celuy d'un entonnoir,
Tetin, qui brimballe à tous coups
Sans estre esbranlé, ne 
secoux,
Bien se peult vanter, qui te taste
D'avoir mys la main à la paste.

Tetin grillé, Tetin pendant,
Tetin flestry, Tetin rendant
Vilaine bourbe au lieu de laict,
Le Diable te feit bien si laid :
Tetin pour trippe reputé,
Tetin, ce cuydé-je, emprunté,
Ou desrobé en quelcque sorte
De quelque vieille Chievre morte.

Tetin propre pour en Enfer
Nourrir l'enfant de Lucifer :
Tetin boyau long d'une gaule,
Tetasse à jeter sur l'epaule
Pour faire (tout bien compassé)
Ung chapperon du temps passé ;
Quand on te voyt, il vient à maints
Une envye dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain Tetin puant,
Tu fourniroys bien en suant
De civettes et de parfums
Pour faire cent mille deffunctz.
Tetin de laydeur despiteuse,
Tetin, dont Nature est honteuse,
Tetin des vilains le plus brave,
Tetin, dont le bout tousjours bave,
Tetin faict de poix et de glus :
Bren ma plume, n'en parlez plus,
Laissez-le là, veintre sainct George,
Vous me feriez rendre ma gorge.

 

SONNET DE RONSARD : 

Marie, vous avés la joue aussi vermeille,
Qu'une rose de Mai, vous avés les cheveux,
De couleur chastaigne, entrefrisés de neus,
Gentement tortillés tout-au-tour de l'oreille.

Quand vous estiés petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son dous miel savoureus,
Amour laissa ses traits dans vos yeus rigoreus,
Pithon vous feit la vois à nulle autre pareille.

Vous avès les tétins comme deus mons de lait,
Caillé bien blanchement sus du jonc nouvelet
Qu'une jeune pucelle au mois de Juin façonne :

De Junon sont vos bras, des Graces votre sein,
Vous avés de l'Aurore & le front, & la main,
Mais vous avés le coeur d'une fière lionne.

Ronsard, Continuation des Amours, Sonnet X, 1555

SONNET DE DU BELLAY

O beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
O front crespe et serein ! et vous face dorée !
O beaux yeux de cristal ! ô grand'bouche honorée,
Qui d'un large reply retrousses tes deux bords ! 

O belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme énamourée !
O gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
O beaux  ongles dorés ! ô main courte, et grassette !
O cuisse délicate ! et vous jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnestement nommer !
O beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
O divines beauté ! pardonnez-moi, de grace,
Si, pour estre mortel, je ne vous ose aimer.  

Du Bellay, Les Regrets, 1556, Sonnet 91

Pierre de MARBEUF L'anatomie de l'oeil

 

L'oeil est dans un château que ceignent les frontières
De ce petit vallon clos de deux boulevards.
Il a pour pont-levis les mouvantes paupières,
Le cil pour garde-corps, les sourcils pour remparts.

Il comprend trois humeurs, l'aqueuse, la vitrée,
Et celle de cristal qui nage entre les deux :
Mais ce corps délicat ne peut souffrir l'entrée
A cela que nature a fait de nébuleux.

Six tuniques tenant notre oeil en consistance,
L'empêche de glisser parmi ses mouvements,
Et les tendons poreux apportent la substance
Qui le garde, et nourrit tous ses compartiments.

Quatre muscles sont droits, et deux autres obliques,
Communiquant à l'oeil sa prompte agilité,
Mais par la liaison qui joint les nerfs optiques,
Il est ferme toujours dans sa mobilité. 

Bref, l'oeil mesurant tout d'une même mesure,
A soi-même inconnu, connait tout l'univers,
Et conçoit dans l'enclos de sa ronde figure
Le rond et le carré, le droit et le travers. 

Toutefois ce flambeau qui conduit notre vie,
De l'obscur de ce corps emprunte sa clarté :
Nous serons donc ce corps, vous serez l'oeil, Marie,
Qui prenez de l'impur votre pure beauté.

 Pierre de Marbeuf (1596-vers 1635)

 

DEDICACE A THEOPHILE GAUTIER

 

Lire le célèbre poème du Parnassien pour comprendre la conception de la poésie et du poète que défendait Gautier, à qui Baudelaire rend hommage.

 

L'art


Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit 

Fi du rythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend!

Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit

Lutte avec le carrare
Avec le paros dur 
Et rare, 
Gardiens du contour pur ;

Emprunte à Syracuse
Son bronze ou fermement 
S'accuse Le trait fier et charmant

D'une main délicate
Poursuis dans un filon

D'agate
Le profile d'Apollon.

Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur

Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons 

Dans son nimbe trilobe 
La Vierge et son Jésus
Le globe
Avec la crois dessus

Tout passe. -L'art robuste
Seul a éternité

                                              Le buste                                                 Survit à la cité

Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.

Les dieux eux-mêmes meurent
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains

Sculpte, lime, ciselle;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc resistant !

 

Emaux et Camées, 1852

À une petite chanteuse des rues.

 THEODORE DE BANVILLE (1823-1891), Les Stalactites (1846).

 

Mon père est oiseau, 
Ma mère est oiselle, 
Je passe l'eau sans nacelle, 
Je passe l'eau sans bateau. 

Victor Hugo

 

Enfant au hasard vêtu, 
D'où viens-tu 
Avec ta chanson bizarre ? 
D'où viennent à l'unisson 
Ta chanson, 
Ta chanson et ta guitare ?

Tu livres au doigt vermeil 
Du soleil, 
Qui les dore et les caresse, 
Tes longs cheveux emmêlés, 
Crespelés 
Comme ceux d'une Déesse.

D'où vient ce front soucieux, 
Ces grands yeux, 
Ces chairs dont la transparence 
Fait voir parmi les couleurs 
De cent fleurs 
Des tons dignes de Lawrence ?

Viens-tu du pays serein 
Où le Rhin 
Baise les coteaux de vignes, 
Dont le feuillage mouvant 
Tremble au vent, 
Et serpente en longues lignes ?

Viens-tu du pays riant 
D'Orient, 
De Sorrente aux blondes grèves, 
Ou de Venise au ciel bleu 
Tout en feu, 
Ou du blond pays des rêves ?

Avec son hardi carmin, 
Quelle main 
A pourpré pour les féeries 
Tes lèvres, ces fruits brûlants, 
Plus sanglants 
Que des grenades fleuries ?

Est-ce bien toi, cet enfant 
Triomphant, 
Dont le père, ouvrant son aile, 
Au fond d'un nid de roseau 
Fut oiseau, 
Dont la mère fut oiselle ?

Belle fille aux cheveux d'or, 
Est-ce encor 
Toi, qui, rieuse et fantasque, 
Faisais voltiger en l'air 
Un éclair 
Avec ton tambour de basque ?

Toi, la Bohême à l'oeil noir 
Qui, le soir, 
D'une dorure fanée 
Serrais ton ample chignon, — 
Et Mignon 
Est-elle ta sœur aînée ?

Ou plutôt, courant au bois, 
Et sans voix 
Pour un brin d'herbe qui bouge, 
Interdite à chaque pas, 
N'es-tu pas 
Le petit Chaperon-Rouge,

Qui fit même des jaloux 
Chez les loups, 
Et qui, portant sa galette 
Chez la bonne mère grand, 
En entrant 
Faisait choir la bobinette ?

Mais non, aux divins attraits 
De tes traits 
Et de ta voix, je devine 
L'enfant comblé des faveurs 
Des rêveurs, 
La folâtre Colombine.

Mais où sont tes beaux souliers, 
Tes colliers 
Qui font rêver les fillettes ? 
Où sont le bel or changeant 
Et l'argent 
De tes jupes à paillettes ?

Et le souple casaquin 
D'Arlequin ? 
Et Cassandre et sa fortune ? 
Où Pierrot, l'homme subtil, 
Cache-t-il 
Sa face de clair de lune ?

Théodore de Banville.

 

Charles Baudelaire

 

Poète né à Paris le 9 avril 1821 et mort le 31 août 1867.  Il est l’auteur des Fleurs du mal, des Petits poèmes en prose mais aussi d’autres œuvres comme ses Salons.

Baudelaire est à la croisée de la « tradition » et de la modernité poétique. Héritage classique, romantique (temps qui passe, angoisse, importance du moi… + très nombreux alexandrins, le vers hugolien par excellence, etc.) + tendance des Parnassiens : la beauté, la perfection du texte. Poèmes réguliers et souvent à forme fixe. Cf. ses très nombreux sonnets et ses pantoums.

Poète controversé* et violemment attaqué de son vivant (son œuvre a été condamnée pour son immoralité et censurée), Charles Baudelaire devient le modèle de très nombreux poètes qui s’engageront dans la voie qu’il avait ouverte. Il est considéré comme « le vrai Dieu » par Rimbaud,  « le plus important des poètes » par Valéry…

 

Les Fleurs du mal : recueil divisé en six parties :

« Spleen et idéal », « Tableaux parisiens », « Le Vin », « Fleurs du mal », « Révolte » et « La Mort ». Ces « fleurs maladives » sont dédiées au poète Théophile Gautier, sacré « parfait magicien ès lettres françaises » et « poète impeccable », selon les propres dires de Baudelaire.

 La section "Spleen et Idéal" évoque l'homme déchiré entre l'aspiration à l'élévation et l'attirance pour la chute, déchirement qui est à l'origine de l'Ennui - nommé aussi "Guignon" ou "Spleen", - indissociable de la condition humaine, et qui finit par triompher. Dans "Tableaux parisiens" le poète voit dans la ville diverses figures de sa propre détresse. "Le Vin" puis l'amour charnel des "Fleurs du Mal" représentent des tentatives avortées pour échapper à cet univers. Dans la section "Révolte", le poète se tourne vers Satan. "La Mort" offre seule, peut-être- la promesse d'un ailleurs. L'ensemble renvoie à l'oscillation initiale entre Spleen et Idéal.

 

TITRE : rapprochement de termes à connotation opposée, "fleurs" et "mal", suggérant l'existence d'une beauté liée au mal, et évoquant la métamorphose proprement poétique de la laideur en beauté, ce qu'exprime le dernier vers du "Projet d'épilogue" pour la 2nde édition des Fleurs du mal ébauché par le poète :

"Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or."

 

Description de la forme poétique : « À une mendiante rousse ».

  • Long poème de Baudelaire composé de 14 quatrains. 56 vers.
  • Chaque quatrain comporte 3 heptasyllabes (vers de 7 syllabes) puis un tétrasyllabe (vers de 4 syllabes). Trois vers impairs, un vers pair.
  • Les rimes sont plates (ou suivies).
  • Poète fait l’éloge paradoxal d’une mendiante. Il joue avec la tradition littéraire, il pastiche plusieurs formes poétiques ou styles (poèmes de la Renaissance : blasons ; poète baroque : TRISTAN LHERMITE, auteur du poème "La Belle Gueuse").

 

À une mendiante rousse est le troisième poème de la section. Ce poème a donc un rôle secondaire dans le recueil, mais il illustre parfaitement la vision paradoxale de l'artiste sur le monde qui l'entoure. Cette pièce parut d’abord dans le journal Le Présent du 15 novembre 1857, avec deux autres de la section des Tableaux Parisiens : Paysage et le Soleil.

 

*Voici par exemple la réaction d’un journaliste du Figaro (Gustave Bourdin) à la lecture des Fleurs du mal :

« Il y a des moments où l’on doute de l’état mental de M. Baudelaire, il y en a où l’on n’en doute plus ; - c’est, la plupart du temps, la répétition monotone et préméditée des mêmes mots, des mêmes pensées. – L’odieux y coudoie l’ignoble ; – le repoussant s’y allie à l’infect… […] Jamais on n’assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de vermine. – Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur. […] Si l’on comprend qu’à vingt ans l’imagination d’un poète puisse se laisser entraîner à de semblables sujets, rien ne peut justifier un homme de plus de trente ans d’avoir donné la publicité du livre à de semblables monstruosités. »

 

En juillet, le Parquet fait saisir l’ouvrage et engage des poursuites contre Baudelaire et son éditeur. Le procès a lieu le 20 août 1857 à la 6ème chambre correctionnelle et le jugement ne retient pas le délit d’offense à la morale religieuse, mais celui d’offense à la morale publique et aux bonnes mœurs. On reproche aux Fleurs du mal et à Madame Bovary, leur caractère immoral, injurieux envers les valeurs bourgeoises et religieuses, la peinture sans complaisance du laid.

Le poète et son éditeur sont condamnés à une amende, et ordre est donné de supprimer six poèmes : « Les Bijoux », « Le Léthé », « A celle qui est trop gaie », « Lesbos », « Femmes damnées » et « Les métamorphoses du vampire ». Baudelaire est très éprouvé par cette affaire et il met quatre ans à réorganiser son recueil et à faire paraître une nouvelle édition des Fleurs du mal, qui comporte une section nouvelle, intitulée « Tableaux parisiens » et environ un tiers de poèmes nouveaux. C’est l’édition de 1861 qui paraît une nouvelle fois chez Poulet-Malassis, et qui est la dernière corrigée du vivant de l’auteur. C’est donc celle qu’on retient généralement. En 1866 paraît à Amsterdam Les Epaves, une plaquette de luxe contenant les pièces condamnées et des inédits. Une troisième édition paraît chez Lévy en 1868, après la mort de l’auteur.

 

COMPOSITION : les poèmes prennent leur place au sein de six « chapitres » de ce que l’on tient pour une sorte d’autobiographie poétique – l’expression de « Mémoires d’une âme », forgée par Hugo pour ses Contemplations, peut ici convenir, si on laisse de côté l’aspect chronologique contenu dans le terme de « mémoires » - : Spleen et Idéal, d’abord, qui regroupe 85 poèmes sur les 127 de l’ensemble, et qui est précédé par « Au lecteur », « Tableaux parisiens », « Le Vin », « Fleurs du Mal », « Révolte » et « La Mort ».

Ces sections dessinent un parcours, celui d’une âme déchirée entre des postulations contraires, faisant l’expérience de la ville, des paradis artificiels, de la luxure, de la rébellion et enfin de la mort.

Le recueil suit donc un itinéraire moral et spirituel : l’homme, corrompu par nature, souffre de l’ennui et ne peut trouver de réconfort que dans l’idée de néant ou les paradis artificiels. L’homme révolté, envahi et accablé par le mal de vivre (l’ennui généré par le « spleen »), s’insurge contre les ordres et les morales établis. Profondément pessimiste, le livre est reçu et perçu comme une provocation. Sainte-Beuve écrit, après avoir lu le recueil : « Vous avez dû beaucoup souffrir, mon enfant. » L’expression du mal du siècle est aiguë, l’opposition aux conventions poussée à l’extrême. La justice n’entendait pas laisser passer un recueil aussi subversif.

On peut aussi distinguer des cycles selon les thèmes ou l’inspiratrice supposée.

 

Pour Baudelaire, les rapports entre morale et art sont simples : dans la mesure où toute œuvre d’art est quête du beau, elle est morale, mais elle n’a pas pour but de moraliser ou de délivrer un enseignement.

Comme il l’écrit dans ses Notes nouvelles sur Edgar Poe :

« Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile… La Poésie […] n’a d’autre but qu’Elle-même ; […] aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. »

 

N.B. : La censure du recueil et l’incompréhension du public ont beaucoup affecté le poète. Sa misère matérielle s’est accrue, mais Baudelaire a recherché des récompenses et des reconnaissances institutionnelles. Il a postulé pour entrer à l’Académie française en 1861 et s’est retiré in extremis sur les conseils de Sainte-Beuve, persuadé qu’il n’obtiendrait aucune voix. Baudelaire était si démuni financièrement qu’il a sollicité plusieurs fois l’aide gouvernementale. La misère le taraudait et le poète ne réussissait pas à trouver une quelconque reconnaissance en France… Sa santé s’est dégradée, au début de 1862 il a eu une attaque cérébrale mais il n’a pas renoncé au travail. Puis frappé d’hémiplégie et d’aphasie, il n’a plus réussi à écrire. En 1867, il mourut à 47 ans sans avoir recouvré l’usage de la parole.

 

TABLEAUX PARISIENS : section ajoutée pour l’édition de 1861, considérée comme la plus moderne du recueil (cf. thème urbain, formes choisies se rapprochant de la prose). Expérience universelle, au sein de la ville qui crée autant de solitude que de possibilités de communion. On parle d’inspiration sociale, la charité du poète trouve à s’exprimer dans l’univers urbain, le lyrisme se fait plus impersonnel. La modernité de la section tient aussi à la substitution du travail poétique à une conception romantique de l’inspiration poétique. L’action du hasard est soulignée dans cette rencontre des mots et de la ville qui suscite aussi le rapprochement entre le soleil et la poésie dont le rôle est d’ « ennoblir les choses les plus viles » et de s’introduire « en roi, sans bruit et sans valets / Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais ». « A une Mendiante rousse » célèbre une beauté de la pauvreté, « sans autre ornement » que sa « maigre nudité ».

Le poète des « Tableaux parisiens » est avant tout un passant, un flâneur en quête de scènes lui permettant de faire son « travail » de poète.

Le poème fait partie de la section « spleen et idéal ». Dans ce poème, un couple en promenade tombe sur une charogne, qui devient le sujet du poème de Baudelaire. 
XXIX - Une Charogne

 

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague
Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché, 
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection, 
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Apres les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

        
Les Fleurs du malCharles Baudelaire
 
 
 
PLAN D'UNE EXPLICATION DE TEXTE :
 

I. La fusion du laid et du beau et l'ironie qui s'en dégage

1. Le choc des oppositions
2. Le tableau de l'horreur

II. Comparaison de la femme et de la charogne, suite de l'ironie grinçante
1. Les association de l'érotisme et de la mort (Eros et Thanatos)
2. Le faux éloge romantique, la vraie comparaison cynique

III. Puisque le temps détruit le réel, le poète le recompose par l'écrit et la création d'un autre monde, sublimé : la fonction de l'art
1. Strophe 8
2. La sublimation par l'écriture

TEXTE A METTRE EN REGARD : SONNET DE RONSARD

 

Quand vous serez bien vieille

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578

 

I. Originalité de la demande amoureuse

1. Une image peu flatteuse de la femme courtisée
2. La précision de la scène
3. La nostalgie
4. Une image flatteuse du poète


II. La célébration de la poésie

1. Une invitation au carpe diem
2. Une mort très douce du poète
3. L'éloge de sa poésie

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         "A une passante" est un sonnet qui appartient aux "Tableaux parisiens", il est donc lié à l'inspiration de la vie. L'univers urbain offre à BAUDELAIRE le cadre propice à une rencontre furtive avec une "passante", incarnation de la "fugitive beauté" entrevue par le poète. Il participe au spectacle de la rue, est aux aguets, tel un flâneur à la recherche de rencontres décisives. Le poète se met en scène, il part en quête de symboles qui font de ces moments évanescents les reflets d'un monde complexe, celui de la condition humaine, celui de sa propre vie. En ce sens, chaque rencontre est importante.
        Le sonnet est construit sur un thème romanesque, celui de la rencontre. Mais il est traité dans une tonalité typiquement baudelairienne. On trouve l'éblouissement de l'attirance féminine, la recherche d'une nouvelle espérance pleinement heureuse et l'échec d'une relation qui laisse le poète désemparé. 

 
A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,       
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !


Baudelaire
Les Fleurs du mal, 1857
Paysage (BAUDELAIRE)

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon cœur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

 

La muse vénale (BAUDELAIRE)

Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ?


Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l'encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

La muse malade (BAUDELAIRE)

 

Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin
T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,
T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?

Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

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